C'est Dominique de Villepin qui a annoncé le 23 février le déblocage de 52 millions d'euros pour aider la filière avicole dont les consommateurs boudent les produits. Selon la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), les ventes en grandes surfaces ont chuté de 25 à 30 % entre le 19 et le 27 février par rapport à la même période l'an dernier. Pourquoi ? Parce que le consommateur cède à la « psychose » et à « une panique injustifiée » dénoncée par Jacques Chirac au Salon international de l'agriculture, panique à laquelle concourt le traitement alarmiste de la grippe aviaire par les médias.
Le ministère de l'Agriculture a donné peu de détails sur ces 52 millions d'aides : 20 millions iront aux producteurs, 30 millions aux industriels et 2 millions au financement de campagnes de communication. Dominique Bussereau a juste indiqué que « le dispositif d'aides aux éleveurs sera généralisé pour tenir compte des pertes en chiffre d'affaires constatées ». Mesure qui ne satisfait pas Franck de Pierpont, producteur de volailles démarrées et adhérent du Comité national d'action et de défense des aviculteurs affilié à la Coordination rurale. « Le gouvernement propose un forfait pour les exploitations dont le chiffre d'affaires a chuté de 10 % ou plus, détaille-t-il. Nous demandons à ce que l'indemnisation soit calculée au prorata des pertes effectives. »
Les pouvoirs publics ont aussi promis un fonds d'allègement des charges (Fac) pour les récents investisseurs, ainsi qu'une prise en charge partielle ou totale des cotisations sociales. Des mesures dont la Confédération paysanne met l'efficacité en doute. « Le parc de bâtiments est âgé, commente René Louail. Le Fac n'aidera pas grand monde. Quant au report de cotisations, il ne s'applique qu'aux éleveurs engagés dans le dispositif “agriculteur en difficulté”. » Le ministère envisage également un soutien aux réductions de densité dans les élevages où elle dépasserait 25 %. Et d'indemniser l'allongement des vides sanitaires au-delà de quatre semaines en volailles standard et de six en label. L'ouverture d'un plan de cessation volontaire d'activité serait écartée pour le moment.
Obtenir l'accord de Bruxelles
Il reste à obtenir le feu vert de Bruxelles, sans quoi la France sera tenue de respecter la règle de minimis : ne pas dépasser 3 000 euros d'aides par exploitation sur une période de trois ans. Les industriels ne seront pas en reste avec leurs 30 millions d'euros. « Nous avons demandé le dégrèvement de certaines taxes et des aides au stockage, révèle Alain Melot, le président de la Fédération des industries avicoles (Fia). Nous travaillons à l'évaluation de ces stocks. » « Ces aides seront conditionnées à l'engagement à ne pas reconstituer les stocks en question », complète Christian Marinov, le directeur de la Confédération française de l'aviculture (CFA). Autrement dit, un ajustement des mises en place sera nécessaire en fonction du recul de la consommation et des baisses de mises en place déjà opérées. L'évocation de la destruction des stocks évoquée en réunion de travail a fait sortir la Confédération paysanne de ses gonds. « Il n'est pas concevable de rétablir l'équilibre en détruisant des biens alimentaires, s'insurge René Louail. Il n'y a qu'à les distribuer aux plus démunis. » Une idée reprise par Dominique Bussereau et Marc Laffineur, un député UMP. Le syndicat propose également de stopper les importations.
Relancer la consommation
D'autres, comme la FDSEA de Saône-et-Loire, ont jeté un oeil sur les rayons de supermarché en se demandant si le consommateur mange moins de volailles parce qu'il a peur, ou parce qu'il n'en trouve pas. « Nous avons contrôlé une vingtaine d'hyper et de supermarchés, détaille Louis Acary, le président de la section avicole du syndicat départemental. Dans trois d'entre eux, le rayon des volailles était dérisoire, voire inexistant. Nous allons les contacter, leur demander s'ils ont besoin d'informations et les encourager à remettre de la volaille en rayon. Car moins il y en aura, moins il s'en vendra. » L'idée a séduit la CFA qui, selon Louis Acary, s'apprêterait à étendre la mesure à d'autres départements. Certaines enseignes n'ont pas perdu le nord et ont organisé des promotions qui ont bien fonctionné selon la FCD, qui reconnaît n'avoir aucun problème d'approvisionnement.
Il reste également à espérer que les médias trouveront d'autres sujets qu'une éventuelle épidémie humaine pour faire leurs choux gras. « Aujourd'hui, nous subissons un très fort recul de notre chiffre d'affaires, constate Pascal Clément, le directeur du Couvoir des Douves, spécialisé dans la fourniture de poussins pour la production label ou de volailles certifiées. Nous avons licencié deux de nos dix-neuf salariés et recourrons au chômage partiel pour ceux qui restent. Notre baisse de chiffre d'affaires fluctue en fonction de l'intensité de la médiatisation. Les premiers articles alarmistes du début de novembre sur le risque de mutation du virus a entraîné une chute de 17 %. Les émeutes dans les banlieues et les fêtes de fin d'année nous ont laissé un peu de répit avant l'arrivée des premiers cas en Turquie. Nous terminons février à - 26 %. Et aujourd'hui avec l'arrivée du H5N1 dans l'Ain, nous n'avons pas de visibilité entre la baisse des commandes et les annulations en cours d'incubation ! » Et ce n'est pas la découverte d'un chat dont la mort serait due au virus H5N1 en Allemagne qui améliorera la situation.
Les exportations en berneLa réaction de nos clients étranger à la confirmation le 24 février de la présence du virus H5N1 dans un élevage de dindes de l'Ain ne s'est pas fait attendre. Une quarantaine de pays ont fermé leur frontière à la volaille française ou produits dérivés, représentant un impact de 14 % sur les exportations avicoles françaises. Les Etats-Unis ont ciblé leur action sur certains produits avicoles français en provenance du département de l'Ain. D'autres comme le Japon se disent prêts à discuter de l'autorisation de certains produits cuits. |
Les céréales ont la chair de pouleLorsque les volailles éternuent, les céréales s'enrhument. Les chiffres ont en effet de quoi donner la chair de poule aux producteurs de blé et de maïs : sur les 20 millions de tonnes (Mt) d'aliments composés fabriquées en France en 2005, 8,5 Mt sont destinées à finir dans le gésier des volailles. Au total, les usines des fabricants d'aliments du bétail avalent chaque année 6,4 Mt de blé, 1 Mt d'orge et 2,4 Mt de maïs, soit près de la moitié de la consommation intérieure pour le blé et plus des deux tiers pour les deux autres céréales. Le débouché de l'alimentation animale n'a donc rien d'un poids plume pour les grains. « Il faut entre 2 et 3 kg d'aliments pour produire 1 kg de volaille de chair, et ces aliments sont composés au moins à 55 ou 60 % de céréales et de coproduits céréaliers », résume un opérateur de la filière. Cette proportion s'élève à plus de 80 % dans certains cahiers des charges de volailles label. Blé et maïs sont les céréales les plus incorporées. La première représente généralement deux tiers de l'apport céréalier dans l'aliment, mais le maïs est majoritaire dans certaines régions de production. Si les mises en place dans les poulaillers battent de l'aile, l'onde de choc finit à coup sûr par atteindre les céréales, même si les premiers effets peuvent être différés par l'allongement de la durée d'élevage. « Il est encore difficile de prévoir l'impact de la grippe aviaire sur la filière végétale, puisque celui-ci dépendra de la durée et de l'intensité de la crise, affirme l'Association générale des producteurs de maïs, mais on observe déjà de l'attentisme chez les fabricants d'aliments, et les prix ont marqué le coup la semaine passée. » Autre inconnue : le report vers d'autres types de viande. Celui-ci pourrait limiter les dégâts, mais les céréales devraient néanmoins voir leurs volumes baisser au profit du soja d'origine majoritairement outre-Atlantique. (G.O.) |