"Passer à la vitesse supérieure." Pour Pascal Berteaud, directeur de l'eau au ministère de l'Ecologie, l'enjeu du plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides est clair.
Présenté le 28 juin dernier en Conseil des ministres par quatre ministères (Agriculture, Ecologie, Santé, Consommation) et prévu pour la période 2006-2009, ce plan regroupe un catalogue d'actions dont certaines sont déjà engagées ou en passe de l'être, et anticipe la directive cadre sur les pesticides en cours de préparation à Bruxelles. Il fait suite au programme lancé en 2000 à travers les groupes régionaux de lutte contre les pollutions par les produits phytosanitaires, mis en place sur 225 bassins versants. "Mais ça ne suffit pas", soutient le directeur de l'eau citant les rapports faisant état de l'augmentation globale des effets négatifs des pesticides sur l'environnement et la santé.
Parmi les actions prioritaires du gouvernement : améliorer les conditions de mise sur le marché des produits en confiant à l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) l'évaluation des bénéfices et des risques des spécialités, comme prévu dans la loi d'orientation agricole. Mission jusqu'ici assurée par la commission d'étude de la toxicité et le comité d'homologation.
Evaluation par l'Afssa
Le ministère de l'Agriculture conserve uniquement l'autorisation finale de mise sur le marché, sur la base de l'avis de l'Afssa et après consultation des ministères de l'Ecologie, de la Santé et de la Consommation. L'agence devrait mettre en place une structure d'environ cent personnes internes à l'Afssa (au lieu d'une quarantaine jusqu'alors en charge de cette évaluation) ainsi que trois commissions d'experts scientifiques externes, soit une cinquantaine au total.
"Le décret d'application est en cours d'examen au Conseil d'Etat et devrait être signé vers la mi-juillet", précise Joël Mathurin, sous-directeur du service de la protection des végétaux. L'objectif est de participer davantage aux discussions européennes et de réduire la durée de gestion des dossiers d'homologation.
Il y a en effet désormais obligation de respecter un délai de dix mois pour l'évaluation des dossiers des nouveaux produits par l'Afssa et de deux mois pour la décision du ministère de l'Agriculture. Un réel progrès par rapport aux trois ans actuels. Une période transitoire de trente mois est toutefois prévue, durant laquelle ces délais ne s'appliqueront pas, afin d'écouler tout le stock. Selon la DGAL (Direction générale de l'alimentation), il n'y aurait pas moins de 1.000 dossiers en attente d'homologation. L'UIPP (Union des industries de la protection des plantes) avance, elle, une vingtaine de nouvelles matières actives qui attendent le feu vert de la France, alors qu'elles sont homologuées dans au moins un pays européen.
Citons par exemple le thiametoxam (insecticide de Syngenta), la clothianidine (insecticide de Bayer CropScience), le prothioconazole ou JAU (fongicide de Bayer), la dimoxystrobine (fongicide de BASF) et le proquinazid (fongicide de DuPont).
Pour ce faire, la taxe d'homologation sera fortement augmentée: 25.000 euros pour une première homologation au lieu des 750 euros au minimum actuellement et 5.000 euros pour une extension d'usage majeur.
Autre mesure forte du plan, qui a fait l'objet d'âpres discussions interministérielles : la réduction de 50% d'ici à 2009 des quantités vendues des quarante-sept substances actives les plus dangereuses (voir l'encadré), en assurant notamment une traçabilité des ventes de produits par la tenue d'un registre par les distributeurs.
Il s'agit de toutes les matières actives classées en catégorie 7 de l'actuelle TGAP (taxe généralisée sur les activités polluantes), c'est-à-dire très toxiques pour l'homme et les écosystèmes, et celles classées CMR (cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction) ou dangereuses prioritaires au titre de la directive cadre sur l'eau. "Le tonnage des ventes de ces 47 matières actives s'élevait en 2004 à 7 989 tonnes, soit 10 % du total. Mais c'est la moitié du risque pour la santé", argumente Pascal Bedekovic, chef du bureau de la biovigilance de la DGAL au ministère de l'Agriculture.
"Ce sont des effets d'annonce", rétorque la FNSEA qui s'inquiète du contexte de réduction des produits. La Confédération paysanne va plus loin et considère que le plan est une "coquille vide". Quant à l'association Eaux et Rivières de Bretagne, elle estime qu'il est "trop timoré pour réduire les pesticides".
Principe de substitution
Comment le gouvernement compte-t-il arriver à cet objectif? Certaines matières actives de la liste sont déjà interdites d'utilisation (aldicarbe pour certains usages depuis 2004) ou prochainement interdites comme l'endosulfan (au 2 juin 2007) ou l'alachlore. Les autres substances de la liste devraient être fortement taxées (jusqu'à 3 €/kg de matière active) dans le cadre de la nouvelle redevance destinée aux agences de bassin, comme prévu dans le projet de loi sur l'eau.
Le ministère de l'Agriculture envisage aussi de nouvelles réductions de doses comme il l'a déjà fait pour l'isoproturon par exemple. Il compte parallèlement réduire le nombre de mélanges. La rue de Varennes table par ailleurs sur le renforcement du conseil agricole via la réforme du système d'agrément des distributeurs et applicateurs qui devrait mettre en place un dispositif de certification de la prescription.
Afin de limiter la mise sur le marché des substances CMR, le gouvernement français va défendre auprès de Bruxelles l'application dans la réglementation communautaire (directive 91/414) du principe de substitution qui vise à autoriser ces substances uniquement pour les usages pour lesquels il n'existe pas d'alternative efficace.
Pour évaluer les progrès accomplis, un comité de suivi va être mis en place, associant l'Administration, les firmes phytosanitaires, la filière agricole, les associations environnementales et les consommateurs.
La première réunion devrait avoir lieu en octobre 2006.
Les 47 substances actives les plus dangereusesAlachlore, aldicarbe, azinphos-méthyl, azocyclotin, betacyfluthrine, bromoxynil (iso et sels), bromoxynil (octanoate), captane, carbendazime, carbofuran, chlorfenvinphos, chlorophacinone, chlorothalonil, chlorpyriphos-éthyl, cyfluthrine, cyperméthrine, dichlorvos, dinocap, diphénylamine, diquat, diuron, endosulfan, éthoprophos, fenbutatin oxyde, fenpropathrine, fenthion, flumioxazine, fluquinconazole, flusilazole, formétanate, ioxynil, isoproturon, lambda cyhalothrine, linuron, méthamidophos, méthidathion, méthomyl, molinate, oxydémeton-méthyl, paraquat, parathion-méthyl, propargite, terbufos, tolylfluanide, triacétate de guazatine, vinchlozoline, zirame (source: DGAL). |
Zones non traitées, formation et transparenceLes autres actions prévues dans le plan interministériel: - la mise en place de zones non traitées (ZNT) d'au moins cinq mètres le long des cours d'eau en traits pleins ou pointillés sur les cartes IGN au 1/25.000, avec la possibilité d'ajuster la liste des points d'eau par arrêté préfectoral; - l'amélioration de la protection des utilisateurs en les informant des équipements de protection individuelle appropriés aux produits utilisés et en harmonisant l'étiquetage des produits; - le contrôle périodique des pulvérisateurs en service (projet de loi sur l'eau); - la formation des salariés agricoles exposés aux phytos; - l'encouragement des pratiques minimisant le recours aux phytos, telles que les systèmes de cultures intégrés ou l'agriculture biologique; - le renforcement des contrôles lors de la distribution et de l'utilisation des produits; - la mise en oeuvre de l'Observatoire des résidus de pesticides et de la surveillance de l'impact des pesticides sur la santé des opérateurs et de la population. |