«La fin de l’opposition ville-campagne a été trop vite pensée comme une victoire finale du monde urbain sur le monde rural », note Jean-Luc Mayaud, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Lyon. La situation est plus complexe : « D’une part, le rural a aussi investi l’espace urbain par ses acteurs, ses produits, son pouvoir d’attraction, le débat sur l’alimentation… D’autre part, les expériences de dynamisation rurale se sont multipliées. »

De marginal à modèle

L’historien est assez optimiste. « Ce dynamisme n’est pas qu’agricole, rappelle-t-il. Il est aussi rural, touristique, culturel. Le modèle performant de l’agriculture a vidé les campagnes d’une partie de ses habitants. On est passé d’une agriculture de peuplement à une agriculture productive mais solitaire. Les laissés-pour-compte ou les contestataires du modèle agricole intensif, ceux qui fuient la ville, les acteurs et suiveurs des mouvements intellectuels, culturels, scientifiques, ceux qui voulaient produire autrement, ceux qui en avaient assez de l’anonymat citadin se sont rencontrés. Ces rencontres ont créé des dynamiques. »

Les expériences le montrent : dès les années 1990-2000, à travers les démarches des pays ou la mise en place de contrats territoriaux, des agriculteurs, des habitants soucieux de leur environnement, des citoyens amoureux de leur territoire se sont davantage rencontrés. Ils se sont mobilisés pour bien « vivre au pays ». Pour Jean-Luc Mayaud, « la marginalité est devenue un modèle convaincant d’un point de vue social ». Même si cela n’empêche pas les tensions…

Que faut-il pour que les territoires endormis rebondissent ? Les élus ruraux le claironnent à chaque rencontre, à chaque débat, dans toutes les manifestations : ils réclament partout un accès aux services publics, de la formation sur place, un accès facile à internet haut débit et aux réseaux de communication.

Le tourisme pour baromètre

Le sociologue Jean Viard y ajoute une activité essentielle à ses yeux : le tourisme. « Un territoire qui attire les touristes s’est rendu désirable. » Si le tourisme occupe une place aussi centrale à ses yeux, c’est parce que, toute activité mise bout à bout sur une vie, un Français travaille seulement 10 % de son temps d’existence sur terre. « Et nous sommes mobiles, poursuit Jean Viard. Aujourd’hui, les personnes veulent pouvoir changer de lieu de vie, voire de vie. »

Une certitude selon lui : « La France peut être touristique et attirante partout. » Valoriser son territoire, cela veut dire le connaître. Mais gare à ne pas s’appuyer que sur le passé ! « Certaines régions périclitent parce qu’elles n’ont pas fait le deuil de leur passé industriel… »

Favoriser le mouvement

Le sociologue étend sa réflexion. « Si un territoire n’est pas désirable pour les touristes, il a peu de chances de l’être pour les jeunes du coin. Et ceux qui partiront ne reviendront pas. » Ceux qui reviennent ont besoin d’être rassurés sur la qualité de l’environnement, l’accueil réservé aux enfants, les moyens de transport, le niveau de l’emploi… Des communautés de communes commencent à se préoccuper de trouver un travail aux conjoints des médecins qu’elles cherchent à attirer. La révolution collaborative et les réseaux sociaux accélèrent le mouvement. En Bretagne occidentale par exemple, des entrepreneurs et des acteurs institutionnels ont lancé, début février, une plate-forme pour l’emploi des conjoints baptisée « jobconjoints.bzh ».

Pour Jean Viard, « nous devons proposer des modes de vie modernes jusqu’au fond des campagnes pour retenir ou faire venir des jeunes agriculteurs et agricultrices ». Le sociologue s’inquiète en particulier des éleveurs soumis à des astreintes fortes : « Il faudra imaginer d’autres organisations, avec du salariat sans doute », estime-t-il. Pour Jean-Luc Mayaud, « il ne faut pas oublier la nécessité de nourrir la population en qualité et en quantité. On ne peut pas transformer le rural en paradis tout en n’arrivant pas à nourrir le pays. Surtout lorsque se pose la question du coût économique et environnemental des transports. »

Des individus porteurs de projets

S’il y a une dynamique propre à chaque expérience de redynamisation des territoires, elles ne sont pas pour autant isolées, rappelle ce dernier. « Les expériences ont comme trait commun la multifonctionnalité, un appui sur des réseaux, une dimension culturelle, une réflexion sociale et parfois une intervention de la puissance publique », liste-t-il. La couverture internet et le très haut débit sont devenus de première nécessité. Autre pilier de ces initiatives, ce sont des individus porteurs d’idées de projet. Mais « ces énergies doivent rencontrer une intelligence administrative », appuie Jean-Luc Mayaud. Il croit à ce dynamisme mais s’inquiète de « la rationalisation étatique, de cette volonté française de centralisation. »

Vingt et un textes de loi

Une inquiétude qui transperce chez ceux qui se penchent sur la ruralité : « L’identité est aujourd’hui en crise parce que les territoires sont maltraités, diminués, abîmés », estime le journaliste Perico Legasse. Il y a eu vingt et un textes de loi sur l’organisation du territoire en vingt-cinq ans et les dernières lois poussent vers des intercommunalités XXL. Quant aux nouvelles régions, elles éloignent les centres de décisions des citoyens au nom d’une efficacité économique qui reste à prouver. Or l’engagement citoyen, souvent bénévole, est la pierre angulaire de ces résurrections des territoires.