«Le réalisateur Édouard Bergeon m’a appelée, le 14 juillet, pour me demander si je pouvais me libérer durant les vingt-quatre heures suivantes. Je lui ai d’abord dit non, j’étais en pleine moisson ! Quand il m’a expliqué la raison, je lui ai répondu que j’allais m’arranger… Il me conviait à monter les marches du Palais des festivals de Cannes !

Il avait aussi contacté la viticultrice Émilie Faucheron et l’éleveuse Émilie Jeannin, qu’il avait rencontrées, comme moi, à l’occasion d’un reportage pour sa chaîne CultivonsNous.tv. Édouard venait de remporter le prix du cinéma positif et voulait à sa façon rendre visible l’agriculture au féminin. J’étais très honorée. Mais il me fallait d’abord m’organiser, trouver une personne pour assurer la moisson avec mon salarié et… une tenue de soirée ! J’ai ressorti la robe que je portais lors de ma remise de diplôme en 2014 qui, par chance, m’allait encore.

Quelques heures plus tard, après une nuit agitée, je posais sur le tapis rouge devant les photographes, avec une dizaine de personnes du monde du cinéma. Aucune agricultrice n’avait gravi les marches de Cannes auparavant. J’étais joyeuse, c’était pour moi un honneur incroyable. J’avais emporté une gerbe de blé que je tenais à la main, pour amener la vie de la terre au cœur du septième art. La soirée s’est poursuivie avec les mêmes personnes : présentation d’un film, puis restaurant, où nous avons parlé d’agriculture ! Beaucoup de questions nous ont été posées. Le pari était gagné.

L’agriculture a souvent été mise en scène au cinéma. Des longs-métrages l’ont fait de manière subtile. D’autres, au contraire, l’ont exposée à des critiques injustes. Le regain d’intérêt pour l’agriculture est une opportunité pour le cinéma, qui se doit de la montrer telle qu’elle est. L’objectif étant, pour le grand public, d’aborder avec crédibilité et humanité les thèmes de l’alimentation, l’environnement, la biodiversité et du climat, étroitement liés à notre quotidien d’agriculteur.

Notre métier est stratégique, il mérite en cela d’être présenté au plus haut niveau du cinéma français. Et il ne consiste pas seulement à porter des salopettes ou à traire les vaches. Il est aussi fait de mixité, de féminité, entre gerbes de blé et talons aiguilles. Et puis, qui n’a pas un jour rêvé de monter les marches de Cannes ? »

Propos recueillis par Rosanne Aries