Roger et Geneviève Rouquette, rejoints par leur fils David en 2001, élèvent 500 brebis laitières lacaune à La Bastide-des-Fonts, à l’extrême sud de l’Aveyron. Le petit village de trente-cinq habitants est niché sur un causse venté et caillouteux, au sein d’un milieu naturel que seules les brebis ou les chèvres peuvent pâturer et entretenir. Leur lait est collecté par Société pour en faire du roquefort, du Pérail et d’autres fromages de diversification. Les éleveurs gardent 160 agnelles chaque année pour le renouvellement du troupeau et vendent 550 à 600 agneaux à la Sica 2G. L’exploitation fonctionne en autonomie complète, avec 100 ha cultivés pour l’alimentation des bêtes, en toutes petites parcelles de 1 à 3 ha, tellement le site est morcelé.
L’exploitation a un fonctionnement bien rodé, qui s’est perfectionné au fil des ans. L’AOC roquefort imposant la pratique du pâturage le plus tôt possible dans l’année, les Rouquette mettent leurs 500 brebis, dès le début avril, sur les parcours situés le plus près de l’exploitation. « À partir du 15 juin, elles sortent à 18 h, après la traite du soir, pacagent la nuit, et rentrent à 7 h pour la traite du matin, explique Roger Rouquette. Puis elles restent la journée dans la bergerie, à l’abri de la chaleur. Les terrains sont pauvres, les bêtes doivent brouter longtemps sur un espace assez grand pour en profiter. Nous veillons aussi à ce qu’elles ne fassent pas trop de kilomètres pour ne pas perdre de lait. »Les éleveurs ont investi 95 000 € en 2016 pour agrandir leur bergerie, afin de travailler dans de meilleures conditions, et 75 000 € en 2017 pour renouveler le matériel de traite en fosse, devenu obsolète.
Pendant la période de gestation, d’octobre à décembre, les brebis partent en plein air intégral sur 200 ha de parcours plus éloignés, qui débutent à 3 km de la ferme. Roger a installé 20 km de clôtures à trois fils électriques pour y créer 21 parcs de 10 à 45 ha. Dès le mois de juin, il y installe aussi ses agnelles, dans un enclos de 3 ha autour d’une bergerie construite pour leur adaptation. « Nous avons mis en place cette organisation en 1997, au décès de mon père, qui était berger, car nous allions manquer de main-d’œuvre, poursuit l’éleveur. Et jusque-là, tout se passait très bien. »
Un prédateur à l’affût
C’était sans compter sur la présence du loup, qui a fait son apparition en 2014 en Aveyron. Un voisin des Rouquette, éleveur de brebis viande à 1 km, a subi sept attaques en 2017. Un autre a eu un veau tué mi-février. « Nous sommes entre les deux, précise Roger. Pour l’instant, nous n’avons pas été touchés, mais nous vivons dans le stress permanent dès que nos brebis sont dehors. Je suis toujours inquiet. Nos collègues ont tenté l’effarouchement. Ça a marché un temps, puis de nouvelles attaques ont eu lieu. Aujourd’hui, on ne sait pas se protéger et empêcher le loup de s’approcher. »
Roger ignore aussi pourquoi ses voisins ont subi des attaques et pas lui. Est-ce que les clôtures électriques ou les sonnailles que portent un quart des brebis, pour qu’on puisse les entendre au loin, éloignent-elles le loup ? Le fait est que l’éleveur qui passait voir ses bêtes tous les deux à quatre jours à l’automne, se rend désormais quotidiennement sur place « pour se rassurer », ce qui augmente singulièrement le temps de surveillance.
«Si les attaquent continuent, nous devrons être plus présents, ajoute-t-il. Nous continuerons à sortir les bêtes, mais il sera impossible de les surveiller la nuit, ou alors nous devrons embaucher des bergers et acheter 25 chiens. C’est inenvisageable. Si nous n’utilisons plus les parcours, le site va s’embroussailler et on ne pourra plus s’y promener. Depuis les années 2000, nous participons aux programmes Life et Natura 2000 consacrés à la protection de la nature. Nous avons des orchidées très rares qui s’épanouissent grâce à l’entretien assuré par les brebis. Ce serait dommage de tout perdre. »S’ils ne devaient compter que sur les pâturages à proximité de la ferme, les Rouquette auraient le choix entre acheter de quoi compléter l’alimentation des bêtes ou réduire le troupeau d’un quart. Pas certain que la formule soit économiquement viable.