Dans le sud de la Patagonie, au bout du monde, un trésor de la nature s’offre aux voyageurs intrépides. Sur 300 mètres de long, plusieurs formations rocheuses émergent du lac General Carrera, à cheval entre le Chili et l’Argentine. Des îlots, de formes improbables, se détachent de la falaise et laissent libre cours à l’imagination, comme l’évoquent leurs noms : la Tête de chien, la Caverne, la Chapelle, la Cathédrale de marbre. Ces formations de carbonate de calcium remontent à plus de 300 millions d’années. Quant aux cavernes, elles sont plus récentes – moins de 15 000 ans –, c’est-à-dire après l’ère glaciaire.

Sillonner l’intérieur de ces grottes avec des petits bateaux ou des kayaks, à ras de l’eau, est captivant. La lumière s’y engouffre et illumine les parois. Les pieux blancs épurés, telles des flèches de cathédrale, plongent dans l’eau turquoise du lac. Les ogives striées par les milliers de nuances de marbre et de roche volcanique hypnotisent.

Le clapotis de l’eau sculpte perpétuellement des formes, semblables à des nids d’abeille. Un spectacle fascinant, qui rappelle les vers de l’écrivain indien Rabindranath Tagore : « Ce n’est pas le marteau qui a rendu ces pierres si parfaites, mais l’eau, avec sa douceur, sa danse et sa chanson. Là où la dureté ne fait que détruire, la douceur parvient à sculpter. »

Un tel spectacle se mérite. Ces cavités se situent à quelques kilomètres du village de Puerto Tranquilo, 500 habitants, sur un chemin pentu de la baie de Mansa, à 217 km de la ville de Coyhaïque. Pour y arriver, il faut descendre la fameuse Carretera Austral.

Cette route, qui conduit littéralement au bout du monde, a été initiée sous Augusto Pinochet, en 1976, pour relier la région isolée de Aisén, alors uniquement accessible par bateau, par avion ou par l’Argentine. Plus de 10 000 soldats de l’armée chilienne participèrent aux travaux de l’ouvrage le plus coûteux du XXe siècle pour le pays. Ouverte au trafic à partir de 1988, elle descend aujourd’hui jusqu’au village de Villa O’Higgins. Mais la route, qui serpente aussi bien au travers des glaciers que de la végétation très dense, n’est toujours pas goudronnée. Il faut compter quatre à cinq heures de piste pour atteindre le petit paradis de la Cathédrale de marbre, avec la sensation d’être un des premiers explorateurs…

Aude Richard