Dans les gorges du Doubs, l’histoire de la contrebande est encore bien présente. Des noms de lieux comme « Les échelles de la mort » (1), des statues telles que « Notre-Dame de la bricole » ou encore d’anciennes cabanes de douaniers témoignent d’une activité jadis clandestine : le commerce illégal de marchandises comme le sel, le tabac, l’absinthe, des montres… « Historiquement, pointe Thibault Gladel, guide conférencier et accompagnateur en montagne, les trafics évoluaient selon les politiques économiques, monétaires et commerciales (protectionnisme ou libéralisme) des États. » La contrebande de « l’or blanc » s’est ainsi notamment arrêtée avec la Révolution qui a fait tomber la gabelle, l’impôt royal sur le sel.

 

Butin caché dans l’écurie

Particulièrement florissantes au XVIIIe siècle, les importations frauduleuses étaient pratiquées à la fois par les petites gens, qui ramenaient sur eux des produits de première nécessité (« la bricotte » ou « la pacotille »), et par des professionnels. Ces derniers s’approvisionnaient dans les grandes villes suisses (Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds...) et revenaient chargés de 20 à 30 kg de marchandises sur le dos. L’aller en journée se faisait sans problème, canne à pêche sur l’épaule. Le retour était plus périlleux, avec des arrêts dans les fermes. À l’époque, nombreuses d’entre elles faisaient office de bistrot. Les trafiquants cachaient leur butin dans l’écurie, derrière une double paroi, avant de s’installer à table où ils jouaient tranquillement aux cartes quand les douaniers débarquaient.

Le langage courant a conservé des traces de cette activité clandestine. En témoignent les expressions comme « passer sous les sapins », qui signifie éviter les douaniers, et des dictons à la gloire ou à l’encontre de la contrebande : « Contrebandiers n’a qu’une saison. Aujourd’hui rieuse à foison, demain le mari en prison et la misère à la maison », rappelle l’un d’entre eux.

Anne Bréhier

(1) À l’origine, une simple perche en bois traversée de barreaux­ et adossée à la falaise.