Comme toujours en Martinique,les alizés viennent tempérer la chaleur moite des Caraïbes. Dans les tonneaux de rhum, les « anges » sont à la fête : « À cause du climat, l’évaporation de l’alcool pendant le vieillissement, ce qu’on appelle la « part des anges », est plus importante qu’en Europe, explique le guide qui conduit les visiteurs dans l’Habitation Saint-Etienne, l’une des sept maisons de rhum de la Martinique.

« Nos alcools vieillissent plus vite, c’est un avantage  », ajoute-t-il. Dans les jardins luxuriants alentours, la variété des arbres et des plantes forme un inventaire presque exhaustif des espèces tropicales. Çà et là, des œuvres de l’artiste martiniquais Victor Anicet, une caravelle monumentale baptisée « La vision du vaincu » ou un fer à cheval frappé d’une croix, évoquent quelques chapitres de l’histoire de l’île, dont l’arrivée des Européens et l’esclavage. Derrière les chais en pierres sèches, la maison coloniale, bâtie par le premier « maître » de la plantation en 1863, témoigne de l’opulence de cette époque.

« C’est un peu comme les châteaux bordelais, souligne Cyril Lawson, l’un des responsables de l’Habitation Saint-Etienne. Sauf qu’en Martinique, ce patrimoine était tombé en désuétude. » Il est en pleine renaissance grâce à l’engouement récent pour le rhum. Comme on fait la route des vins en Alsace ou en Bourgogne, les touristes empruntent la route du rhum en Martinique.

De distillerie en distillerie, ils font le tour de l’île et découvrent autrement le goût singulier de cet alcool, souvent galvaudé dans un ti-punch (avec une tranche de citron vert) ou un planteur (noyé dans un jus de fruits tropicaux). Dans le monde du rhum, la Martinique est une île d’exception, la seule à jouir d’une AOP (Appellation d’origine contrôlée). Ici, le rhum est fabriqué avec le jus de la canne à sucre comme on tire le vin du raisin. Il en est l’expression du terroir et son goût a quelque chose de plus authentique.

Ce rhum dit « agricole » se démarque de celui industriel, environ 96 % de la production mondiale, fabriqué à partir de la mélasse (un sous-produit de l’industrie sucrière de la canne et de la betterave). Jean-Paul Fretillet