On l’a vu, les mesures prophylactiques sont souvent suffisantes pour contrer les ravageurs. Malgré tout, des pullulations d’insectes sont à déplorer. Il est alors possible de traiter en préventif les locaux de stockage ou en curatif directement sur les denrées.

Toutefois, la liste des spécialités phytosanitaires disponibles s’amenuise d’année en année (voir l’infographie p. 48). Retrait du dichlorvos et du malathion en 2008, disparition de l’usage sur maïs du pirimiphos methyl, baisses des LMR (limites maximales de résidus) sur deltaméthrine en 2017… Le contexte réglementaire ne simplifie pas la tâche des stockeurs.

Chlorpyriphos-methyl hors d’usage

Dernier exemple en date : la révision des LMR du chlorpyriphos-methyl pour les usages grains stockés. Le 27 mars 2017, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a publié un avis scientifique et, le 4 mai 2018, le règlement de la Commission (UE) 2018/686, publié au JO UE le 16 mai 2018, a finalement modifié les LMR applicables aux résidus de chlorpyriphos-methyl. Il est entré en vigueur au 5 juin dernier.

Si, sur orge et avoine, les LMR sont passées de 3 à 6 mg/kg et, sur riz, elles n’ont pas bougé (3 mg/kg), sur maïs, sorgho, blé et seigle, elles sont désormais de 0,05 mg/kg, au lieu de 3 mg/kg auparavant.

« À la lumière du texte publié et de l’interprétation la plus commune par les États membres, les anciennes LMR restent valables pour les grains de maïs, seigle, blé et sorgho, à condition d’avoir été récoltés et traités (avant ou après récolte) avant la date d’application », précise Dow Agro-Sciences, détenteur de la molécule. Par conséquent, l’utilisation du chlorpyriphos-méthyl sur ces cultures devant être commercialisées ou exportées en Europe pourra continuer jusqu’à la date d’application des nouvelles LMR, le 5 décembre 2018. À compter de cette date, les nouvelles LMR éliminent de facto les utilisations actuelles du chlorpyriphos-methyl sur ces espèces. »

Après cette date, il n’y aura donc plus de commercialisation des spécialités concernées (par exemple, Nuvagrain Nébulisation et Nuvagrain 225 EC). En effet, les agriculteurs stockeurs ou les OS ne peuvent pas s’aventurer à traiter de l’orge puis à stocker du blé, par exemple. Il y aurait un risque de contaminations croisées sur les grains de blé soumis à une LMR de 0,05 mg/kg.

Le chlorpyriphos-methyl représentait jusqu’alors le quart des utilisations, juste derrière la deltaméthine et le pirimiphos-methyl. Ne resteront à disposition des utilisateurs qu’un organophosphoré et deux pyréthrinoïdes, la cyperméthrine étant également autorisée. Un risque d’apparition de résistance, notamment des charançons aux pyréthrinoïdes, est donc à craindre.

L’agriculture biologique est aussi en reste. Thierry Guérin, qui utilisait des insecticides en conventionnel, puis des pyrèthres naturelles quand il est passé au « bio », n’a plus de solution phytosanitaire à sa disposition. En effet, cette famille n’est plus disponible en agriculture biologique. Les solutions commerciales contenant du butoxyde de pipéronyle ou piperonyl butoxide (PBO), synergiste utilisé pour améliorer les propriétés pesticides de cette famille d’insecticides notamment, ont été interdites en agriculture biologique à la vente et à la distribution au 31 mars 2017 (fin d’utilisation du stock au 30 septembre 2017). Principale raison et non des moindres, le PBO est fortement suspecté de présenter des effets néfastes sur les fonctions endocriniennes humaines et sur l’environnement.

Pyrèthres interdites en bio

Un programme de substitution du PBO a donc été lancé dans le but de trouver des solutions alternatives. L’Itab (Institut technique de l’agriculture biologique) a notamment testé des huiles : « Nous avons obtenu des résultats montrant une efficacité réelle des huiles de colza et de sésame dans la lutte contre les insectes prédateurs des denrées stockées : les charançons du blé (Sitophilus granarius), les capucins des grains (Rhizopertha dominica) et les alucites des céréales (Sitotroga crealella). L’huile de sésame est la plus active car elle contient des molécules naturelles proches du PBO en termes de structure. »

En tant que synergiste, l’huile de sésame n’a pas pu prétendre à être autorisée comme substance de base au niveau européen. Il faut désormais une homologation nationale. Si l’huile de colza n’a pas été poussée, la demande est en cours avec l’huile de sésame en tant que synergiste. Autre dossier qui se fait attendre : l’autorisation du spinosad en traitement des locaux de stockage.

Poudres minérales

Des alternatives ont toutefois vu le jour, essentiellement sous la forme de poudres minérales. En 2015, Silicosec (terre de diatomée) a obtenu une AMM. Distribué par Kreglinger, il a un statut d’insecticide (et d’acaricide) et est autorisé pour la désinsectisation des locaux et pour traiter les ravageurs des céréales stockées. Autorisé notamment en bio, il provoque leur mort par dessiccation après contact.

Yann Bertin, céréalier bio à Laure-Minervois (Aude) appuie : « C’est très pratique et depuis que je l’utilise, je ne sais plus à quoi ressemble un charançon ou un silvain ! Au départ, je le saupoudrais dans la moissonneuse-batteuse à la moitié du remplissage et à la fin. Désormais, je l’utilise au moment de la reprise sur les tas en stockage à plat. Je vais aussi traiter les cellules via la ventilation. » En revanche, l’inconvénient pour lui, également gérant de la SCIC Graines équitables, c’est qu’il n’est pas accepté dans tous les cahiers des charges… mais les choses ont l’air de changer !

Denis Lostanlen, responsable appros chez Soufflet Atlantique, le propose aussi aux exploitants, car les clients du négoce souhaitent de plus en plus proscrire les insecticides chimiques. C’est le cas dans des filières telles que LU Harmony ou la baby-food. S’il n’a pour le moment aucun retour négatif, il estime que ce qui peut restreindre son utilisation, c’est sa mise en œuvre, pas toujours aisée, et son coût pas encore compétitif. Il ajoute que le dépôt blanchâtre sur les grains de blé pourrait poser un souci d’utilisation dans les moulins et que la poudre étant abrasive, elle fait un peu baisser le PS.

Barrière physique

En 2015, ProCrop S (à base de bicarbonate de soude) a disposé d’une autorisation de commercialisation. Arvalis précise qu’il n’est ni classé phytosanitaire, ni biocide. Néodis, la firme qui le commercialise, ajoute qu’il s’agit d’une barrière physique 100 % minérale et non d’un insecticide. C’est aussi le cas de Forcegrains MN (chabazite), disponible depuis 2017 et proposé par Lodi. Tous deux empêchent les insectes de se nourrir.

ProCrop S s’utilise sur toutes les surfaces des locaux vides de stockage à l’aide d’un atomiseur de poudre à dos, une soufflette ou plus simplement via le système de ventilation de la cellule. Forcegrains MN s’emploie aussi pour le traitement des locaux vides ou directement sur les grains. L’utilisation dans les locaux vides est autorisée en agriculture bio.

Arvalis a dernièrement testé ProCrop S et Silicosec en traitement des locaux vides. Les résultats confirment l’intérêt d’un tel traitement. L’ensemble des applications a conduit à la mortalité totale des charançons des grains adultes et des capucins des grains au bout de 14 jours d’exposition.

Le Big Bag Nox est un système qui semble promoteur. Selon la firme qui le commercialise, Nox Storage, il protège les graines et semences de tous les types d’insectes. Doublé d’un liner hermétique aux gaz, il est équipé d’une valve d’aspiration. Quand le big bag est rempli et scellé, un simple aspirateur crée un vide partiel. L’air extrait est remplacé par un volume équivalent de CO2. « L’anoxie est létale pour les insectes libres et, au bout de trois semaines, ceux cachés dans les grains sont éliminés », ajoute la société. Yann Bertin, qui l’utilise pour lutter contre les bruches sur lentilles, précise que, même si le système est un peu onéreux et n’a pas une efficacité totale, il n’y a pas vraiment d’autres solutions disponibles.