Selon une étude parue sur le site The Conversation, qui publie des articles rédigés par des chercheurs et des universitaires, au rythme actuel des rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, notre « budget carbone » permettant de limiter le réchauffement global à 2°C aura été épuisé en vingt ans.
Les deux auteurs, Christian de Perthuis (Université Paris Dauphine) et Camille Tevenart (Inra), estiment qu’à l’échelle internationale, le changement d’usage des sols impacte le cycle du carbone, et pointent du doigt la déforestation au motif de l’extension des cultures et de l’élevage.
« La capacité de la biosphère à stocker le carbone dépend aussi de la façon dont les agriculteurs et les éleveurs utilisent le sol, relève l’article. La prairie permanente, les haies, les cultures intercalaires contribuent au stockage du carbone dans le sol ; l’érosion de terres nues, le labour, l’excès de produits chimiques le vident de sa matière vivante en rejetant du CO2. »
50 000 ha de moins chaque année
En France, les concurrences sur l’usage des sols résultent, selon les auteurs de l’étude, de l’artificialisation des sols, telle l’extension de l’habitat, des routes, des bâtiments agricoles, des parkings… Chaque année, ils grignoteraient quelque 50 000 hectares, principalement au détriment des terres agricoles. Quant à la superficie boisée, qui constitue le moteur principal du puits de carbone stockant le CO2 atmosphérique, elle croît lentement. Néanmoins, elle pourrait souffrir, d’ici à 2050, du changement climatique et de l’intensification des prélèvements d’arbres.
« Jusqu’à la fin des années 1990, l’agriculture a procédé à des conversions massives de prairies et de vergers en terres cultivées annuellement, souvent débarrassées de leurs haies et de tout autre couvert végétal, explique l’étude. Durant cette période, l’agriculture a perdu de sa capacité à retenir le carbone dans les sols. »
Avec la réforme de la politique agricole commune (Pac), des mesures agroenvironnementales favorisent à nouveau le stockage du carbone dans les sols grâce à la restauration du couvert végétal et des cultures intercalaires, à l’incitation au non-labour et à la réduction des intrants chimiques. « Ces incitations ont freiné le déstockage de carbone par l’agriculture, mais sont loin de l’avoir transformé en puits net de carbone, regrettent les auteurs. […] Pour se rapprocher de la neutralité carbone, l’agriculture devra opérer des mutations plus radicales en suivant une approche systémique ; cette démarche vise à réduire simultanément les émissions et accroître la capacité d’absorption du carbone dans les sols. »
Intégrer tous les paramètres
L’étude estime que les bovins sont la première source d’émissions de méthane. « Pour la limiter, on peut viser une réduction drastique de la consommation de viande bovine et du cheptel, proposent les auteurs de l’article. Mais il faut alors savoir comment valoriser les prairies permanentes, l’une des composantes les plus intéressantes du puits de carbone agricole… » Aussi, l’étude rappelle que pour intégrer l’élevage bovin dans la transition bas carbone, l’ensemble des paramètres du système compte.
Du côté des biocarburants de première génération, l’étude rappelle que les cultures en amont ne sont pas sans effets sur les émissions. « Les perspectives du biogaz sont plus prometteuses car l’utilisation énergétique des effluents d’élevage permet de réduire leur empreinte carbone, sans dommage sur les sols, » estime l’article.
Récompenser les bonnes pratiques
Pour les auteurs de l’étude, il est nécessaire de déployer des instruments économiques dopant la transformation bas carbone de l’agriculture et qui récompensent les bonnes pratiques. « Compensation carbone créditant les réductions d’émission, compensation pour la protection de la biodiversité, paiements pour services environnementaux, énumèrent-ils. Mais aussi ceux qui visent à internaliser le coût des dommages environnementaux comme la taxe carbone sur la consommation d’énergie fossile dont l’agriculture est exemptée. » Ils proposent également une traçabilité des produits bas carbone, et la mise en avant de leurs qualités nutritionnelles. Un moyen d’impliquer le consommateur.
Enfin, l’article conclut sur la nécessaire adhésion des agriculteurs. « Comme dans le secteur énergétique, cette adhésion n’est pas spontanée, car la marche vers la neutralité carbone va impliquer des restructurations et des remises en question, soulèvent les auteurs. Mais de même que les producteurs d’énergie n’ont guère d’avenir s’ils ne se préparent pas à l’après-fossile, les producteurs agricoles s’enfermeraient dans une impasse s’ils entraient à reculons dans la transition bas carbone. »