Le vendredi 30 novembre 2018 se tenait, à Paris, le colloque de la FC2A sur le thème « L’agriculture française, entre enjeux locaux et internationaux ». À cette occasion, trois tables-rondes étaient organisées, dont une intitulée « Peut-on sérieusement snober le marché mondial ? ». La réponse était dans la question.
Cinq intervenants sont venus apporter leur éclairage dont Philippe Chalmin, historien et économiste spécialiste des matières premières, Jean-François Lépy, directeur de Soufflet Négoce, Gérard Poyer, vice-président de la FC2A et président de la FFCB (1), Jean-Paul Kihm, agriculteur en France et en Ukraine, et Dominique Lammin, chargé d’affaires et relations publiques au grand port de Dunkerque (de gauche à droite sur la photo).
L’exportation, un vrai marché
Pour Jean-François Lépy, nous sommes désormais dans un monde instable « après avoir vécu un cycle favorable à l’agriculture française de 2007 à 2012. Tout le monde était satisfait de la puissance et de la force de nos exportations. Or, les deux trois saisons que nous venons de vivre nous ont montré notre fragilité, laquelle commence chez nos clients, chez les agriculteurs. »
« Aujourd’hui comment rester profitable dans un univers de prix à 120-130 € payé départ ferme ? reprend-il. Comment survivre à tous ces chocs ? L’exportation est le socle de l’économie de la ferme céréalière France. Si vous n’êtes pas compétitif à l’exportation, ce socle commence à se fissurer. […] Il faut trouver une résistance, une résilience dans nos entreprises et surtout chez les agriculteurs, pour qu’ils puissent survivre dans ces moments-là. »
Les solutions évoquées : la montée en gamme. « Il faut sortir de ce marché du moins-disant car on perdra à tous les coups », insiste Jean-Paul Kihm ; et ne plus traiter l’exportation comme un débouché mais comme un vrai marché avec des clients qui ont leurs exigences. Jean-François Lépy illustre avec l’exemple de l’Algérie qui représente 60 % des exportations vers les pays tiers en blé car elle refuse les blés punaisés à plus de 0,2 % des pays de la mer Noire. Mais il faut être vigilant car les Russes finiront par réussir à atteindre ce critère… et pourront entrer dans ce marché à leur prix.
La Chine ouvre ses portes
D’autres clients sont à surveiller. « Les portes de la Chine viennent de s’ouvrir. C’est la grande bonne nouvelle pour la filière bovine française. Enfin, nous n’avons plus la vache folle ! Donc nous allons pouvoir leur vendre de la viande », appuie Philippe Chalmin. C’est une opportunité pour la viande bovine tricolore, mais aussi européenne.
« Avons-nous aujourd’hui des opérateurs français capables de gérer des flux réguliers de viande bovine sur la Chine ? Je ne suis pas sûr d’en avoir totalement la réponse », ose l’historien. Et pour cause, les exportations européennes de porc profitent surtout aux Néerlandais, aux Allemands et aux Danois.
Ce à quoi Gérard Poyer répond : « On est un pays protectionniste assez frigide en matière d’ouverture des marchés. Aujourd’hui, la Chine représente des containers de 25 tonnes de viande de luxe. Il faut se distinguer par cette viande de qualité et tirer profit de l’image “à la française”. »
Un réseau vieillissant et peu compétitif
En parallèle du positionnement pour gagner des parts à l’exportation et être toujours plus compétitif, se pose la question de la logistique. « On a des ports performants, faciles d’accès, indique Jean-François Lépy. En revanche, les réseaux ferroviaire et capillaire au départ des silos n’ont pas été entretenus. La seule solution trouvée par SNCF-réseau a été de mettre au pot les chargeurs et les régions. » Ce qui ajoute des coûts et impacte la compétitivité. Aussi, les infrastructures sont « extrêmement vieilles » à tel point que certaines écluses vétustes ont sauté lors des dernières crues de la Seine.
Des facteurs connexes s’ajoutent à cela. « Les travaux du Grand Paris sont en train de faire une pompe aspirante sur les taux des frets des barges. Par conséquent, le transport des céréales sur l’axe Seine a pris 20 % ! On est aussi sur des problématiques de transports routiers avec le manque de chauffeurs et les prix à la pompe. Tout cela est plutôt dans une inflation de coûts plutôt qu’une recherche de compétitivité et une baisse des coûts », conclut Jean-François Lépy.
(1) Fédération française des commerçants en bestiaux.