En ce chaud mois de juin, la récolte des fraises bat son plein dans le Kent, au sud de l’Angleterre.
« Les agences de recrutement disent qu’elles ne pourront pas pourvoir les postes vacants après le mois d’août, on va donc avoir avec un problème », dit Alastair Brooks, à la tête d’une exploitation de 60 hectares près de Faversham, en plein cœur du jardin de l’Angleterre. Avec des rendements multipliés par deux en dix ans, et un chiffre d’affaires de près de 1,4 milliard d’euros, le secteur de la fraise fait pourtant partie des champions de l’industrie horticole britannique.
Le Brexit, cause de tous les maux
« Cette année, on est obligé de leur courir après », affirme Alastair Brooks, qui emploie 20 permanents et 180 saisonniers. « Des fruits ne seront pas cueillis, et pas seulement dans cette exploitation. » Le Brexit est le coupable le plus évident de cette situation. Les travailleurs ne savent pas à quelle sauce l’administration britannique les cuisinera une fois la sortie de l’Union actée, et redoutent les agressions. Mais c’est surtout la baisse de la livre sterling, rendant les salaires moins attractifs, qui est la cause de ce désamour pour les champs de l’île.
« Cette année, je n’ai pas peur mais s’ils mettent en place un Brexit dur, je resterai en Roumanie », prévient Maria Parnic, 37 ans, qui vient depuis sept ans travailler sur l’exploitation d’Alastair Brooks.
La sortie de l’Union ne fait cependant qu’accentuer un phénomène déjà en cours de réduction du nombre de candidats à l’expatriation dans l’est de l’Europe, lié à la baisse du chômage en Bulgarie et Roumanie.
Le secteur des fruits à besoin des étrangers
Engager des travailleurs britanniques ? Difficile dans un pays proche du plein-emploi, où les chômeurs se concentrent surtout dans les zones urbaines. Des initiatives ont été lancées pour recruter des habitants des villes pour récolter les fraises, mais elles n’ont pas été couronnées de succès. « Seuls huit salariés, sur les deux cent que nous avions recrutés, ont terminé la saison », se désole Chris Chinn un exploitant qui a expérimenté ce dispositif. Employer des étrangers n’est pas un caprice pour des horticulteurs pour protéger leurs marges, c’est une nécessité.
British Summer Fruits estime que trois producteurs de fruits rouges sur cinq éprouvent déjà des difficultés à recruter les quelque 30 000 saisonniers dont la filière a besoin, dont 95 % viennent de l’Europe de l’Est. « En ce moment, il y a une pénurie de 10 à 15 % de travailleurs dans les exploitations », estime Nick Marston, le président du lobby de cette industrie. Un problème qui affecte tout le secteur horticole et qui risque de s’accentuer, avec le tarissement de la source des saisonniers.
Sans action rapide de l’exécutif, « paralysé » par le Brexit, les effets risquent d’être dévastateurs, prévient le British Summer Fruits. Pendant que certains producteurs sont forcés de mettre la clé sous la porte, d’autres explorent déjà des opportunités d’activité en dehors du Royaume-Uni, parfois jusqu’en Chine. Dans le cas où le gouvernement choisirait un modèle de Brexit dur fermant complètement la porte aux étrangers, le prix des fraises pourrait augmenter de 50 %, avec une hausse des besoins en importation. Un comble pour ceux qui se proposaient de rendre son indépendance au pays.
Ressortir les vieilles recettes
Pour les producteurs, il n’existe qu’une seule solution : ressusciter l’ancien dispositif. Entre 1948 et 2013, des permis saisonniers permettaient déjà aux travailleurs étrangers de venir au Royaume-Uni. Lors de l’ultime campagne, plus de 20 000 avaient bénéficié de ce dispositif.
La présidente de l’Union nationale des Agriculteurs, Alison Capper appelle les pouvoirs publics à réagir rapidement. « Les exploitants ont besoin d’un engagement fort du gouvernement, déclare-t-elle dans un communiqué, qui leur garantisse l’accès à la main-d’œuvre dont ils ont besoin quand nous aurons quitté l’Union européenne. Il est vital que l’importance cruciale de la main-d’œuvre peu qualifiée soit reconnue. Jusqu’ici, c’est l’immigration hautement qualifiée qui a reçu un traitement de faveur. »
Interrogé par l’AFP, un porte-parole du ministère de l’Agriculture a indiqué que celui-ci travaillait « étroitement avec le ministère de l’Intérieur pour assurer que les besoins en main-d’œuvre soient satisfaits après le retrait de l’Union européenne ».