Ils en sont convaincus : Bernard et Jean-Luc Rossignol vivent dans un « très beau pays ». Dans ce coin du Tarn-et-Garonne où les bois et les haies structurent le paysage, le père et le fils élèvent 700 brebis. La moitié est destinée à produire de l’agneau fermier label rouge, l’autre à livrer du lait transformé en fromage par la coopérative Sodiaal. Les 140 ha de terres permettent d’être autonomes en fourrages, avec 80 ha de prairies naturelles, le reste en prairies temporaires et cultures autoconsommées. Ces dernières, non irriguées, sont travaillées de façon « bio-logique, en deux mots », selon Jean-Luc, qui préfère­ ce terme à celui d’« agriculture de conservation ». « On a toujours aimé notre métier et recherché le meilleur équilibre et le respect de nos animaux », confie Bernard. Il ajoute : « Et les végétaux méritent autant de respect que les animaux ! » Une allusion aux militants animalistes, dont la dernière action médiatique a conduit à fermer l’abattoir de Rodez.

L’élevage rend service

Et pourtant : le paysage qui les entoure doit beaucoup à l’élevage. Responsable des questions agricoles à l’agence de l’eau Adour-Garonne, Laurent René affirme même que « la biodiversité repose en grande partie sur l’élevage ». Avant de tempérer : « Un certain type d’élevage. » Il s’inquiète d’ailleurs de voir les prairies céder du terrain aux cultures arables, entraînant une augmentation des traitements phyto, mais aussi de l’érosion. « De plus en plus de terres sont labourées, constate-t-il. Non seulement en plaine mais aussi désormais en piémont, et de plus en plus en altitude du fait du changement climatique. » Face à ce constat, l’Agence a décidé de rémunérer des éleveurs pour les services qu’ils rendent à la société.

Comme pour 450 autres exploitations du bassin Adour-Garonne, Bernard et Jean-Luc ont été audités à la fin de l’année 2019. Sur la grille de notation élaborée par l’agence de l’eau, ils ont obtenu un score de 24,96/30. En mars 2020, ils ont reçu un paiement pour service environnemental, ou PSE, d’un montant de 13 332 €. Sans être poussés à changer leurs pratiques.

Davantage qu’une aide

« C’est la première fois qu’on nous dit, en tant qu’agriculteurs, que ce qu’on fait est déjà bien, s’enthousiasme Jean-Luc. Ce paiement est une reconnaissance de notre travail. » Une petite révolution dans un monde où l’on touche habituellement des aides uniquement pour supporter des contraintes. « Le PSE montre à la société que l’agriculture rend des services, et montre aux agriculteurs qu’ils ont un rôle à jouer et qu’il est reconnu », abonde Laurent René. Ce qui n’oblige pas à se contenter du statu quo : « On est prêts à se former, évoluer, tester », affirme Bernard. « Mais les limites au changement de pratiques, c’est parfois l’appui technique, regrette son fils. Le conseil, c’est souvent un produit, jamais une plante compagne ou de faire revenir les carabes pour combattre les limaces. »

Un bassin pilote

Si toutes les agences de l’eau sont sur les rangs pour tester les PSE, comme le prévoit le Plan biodiversité présenté par le gouvernement en 2018, seul le bassin Adour-Garonne en a déjà mis en œuvre. En effet, ce nouveau régime d’aides devait d’abord être notifié par la France à la Commission européenne. En attendant le feu vert, l’agence Adour-Garonne a décidé de tester l’outil sous le régime de minimis. Avantage : il était applicable immédiatement. Inconvénient : il imposait un plafond de 20 000 € par exploitation, sur trois exercices glissants (1). Sur 2019-2020, l’agence de l’eau a donc versé un maximum de 6 666 € par an et par exploitation, avec une transparence pour les Gaec.

« Notre objectif était de sortir des PSE rapidement, en réduisant au minimum les coûts de gestion pour que l’enveloppe aille essentiellement dans les poches des agriculteurs, raconte Laurent René. Nous avons choisi des critères simples à mesurer. » Le score de chaque exploitation est basé sur trois indicateurs : utilisation des terres (surface en prairies, diversité de cultures et couverts végétaux), extensivité des pratiques (apports d’azote et traitements phyto sur les cultures) et infrastructures agroécologiques (au-delà du minimum de 5 % de SAU imposé par la Pac). Chaque indicateur est noté sur dix points et un PSE est versé pour toutes les fermes ayant obtenu au moins 16/30. Le montant par hectare correspond à 5 € par point, soit 150 €/ha pour la note maximale de 30/30. Un audit est refait chaque année. Les agriculteurs qui améliorent leur score peuvent prétendre à un montant plus élevé, tant qu’ils restent sous le plafond.

Non-cumul avec les MAEC

À partir de 2020, Bruxelles ayant validé le nouveau régime d’aides des PSE, l’aide versée par l’agence de l’eau sortira du régime de minimis. « On a tout de même fixé un plafond à 60 ha, parce que l’enveloppe est limitée et pour éviter de déstabiliser le marché foncier », explique Laurent René. La somme maximale pouvant être versée passe donc à 9 000 €/an, avec une transparence pour les Gaec. En cas de non-conformité (5 % des exploitations seront contrôlées), un remboursement du PSE pourra être exigé, mais pas de pénalité.

Le PSE s’adresse à toutes les fermes dont au moins la moitié de leur SAU est dans un territoire cible. Pour être éligible, il faut aussi remplir deux critères : aucun IFT culture supérieur à l’IFT régional de référence, et un chargement inférieur à 1,4 UGB/ha de SFP.

Le paiement n’est pas cumulable avec les aides à la bio ni les MAEC (mesures agroenvironnementales et climatiques). Ce que Laurent René regrette : « Pour avoir droit au PSE, certains ont lâché leur MAEC, alors que sa mise en place avait nécessité énormément de travail et d’animation. Ça nous ennuie. Pour nous, les deux sont complémentaires : la MAEC est une aide à la transition et le PSE valorise un service rendu. »

Les deux dispositifs trouveront-ils leur place respective dans la future Pac ? L’expérimentation est prévue pour cinq ans, avec une « clause de revoyure » (traduire par « interruption du PSE ») à l’entrée en vigueur de la nouvelle Pac. Cependant, au terme de chaque année, les agriculteurs peuvent quitter le dispositif sans rembourser les années précédentes. 

Bérengère Lafeuille

(1) De plus, certaines aides (crédit d’impôt à la bio, fonds d’allègement des charges, prise en charge d’intérêts des ATR, etc.) sont comptées comme des aides de minimis, devant être soustraites, le cas échéant, du plafond de 20 000 €.