L’Acta est membre de l’association ABBA dédiée au biocontrôle et à la biostimulation. Quelle est votre contribution ?

Jean-PaulBordes : Pour nous, institut technique, le biocontrôle est l’une des voies pour concevoir l’avenir de la protection des plantes. Nous l’envisageons comme un investissement sur le long terme. De fait, être présent dans cette association s’avère très important. L’Acta peut jouer deux rôles : décisionnaire, en siégeant au conseil d’administration et en intégrant le bureau ; catalyseur, en apportant la mobilisation des instituts. Nous sommes une voie de transmission entre la recherche fondamentale et le terrain. Aussi, nous collaborons avec les acteurs privés pour évaluer et mettre au point les innovations.

Phyteis adhère également à ABBA. Quelles sont vos motivations et votre rôle ?

Yves Picquet: Le biocontrôle constitue une partie importante de l’approche combinatoire de la protection des cultures. D’ailleurs, un des piliers stratégiques de notre feuille de route se destine à la bioprotection. En tant qu’organisation professionnelle de ce secteur, notre engagement est évident. De plus, nous souhaitons mettre en relation nos différents membres avec ceux d’ABBA. Certains de nos adhérents sont directement parties prenantes. Enfin, nous envisageons notre participation dans la continuité de celle que nous avions dans le consortium du biocontrôle.

Le consortium biocontrôle cède effectivement sa place à ABBA. Quels enseignements en tirez-vous au bout de 8 ans ?

Jean-PaulBordes : Des points positifs se dégagent du consortium : apprendre à travailler ensemble ou encore associer recherche publique et privée. Conséquence, les colloques et les échanges s’imposent comme une courroie de transmission des savoirs. Rassembler les différents acteurs autour d’une table apporte du sens. Trop souvent, on oublie la force du collectif. Aussi, ce volet animation est l’une des forces d’ABBA.

Comme l’application des produits de biocontrôle dépend des conditions locales, l’aspect expérimentation joue aussi un rôle très important. Déjà, ces produits s’emploient mieux depuis l’élaboration de méthodes spécifiques. Intervenir en préventif en s’appuyant sur les Outils d’aide à la décision (OAD) est un exemple. Ce raisonnement, récent, émerge bien des travaux du consortium.

Yves Picquet: Effectivement, avec les produits de biocontrôle, le paramètre terroir devient fondamental. Ces produits contrôlent un bioagresseur. Toutefois, un aspect clé de leur efficacité repose sur les bonnes conditions d’application. D’où la nécessité de les faire tester par les instituts techniques, la distribution agricole, les chambres d’agriculture dans un maximum de situations. Dans ce cadre, l’approche en réseau et l’intelligence collective priment.

Quel élan doit apporter le grand défi du biocontrôle et de la biostimulation porté par ABBA ?

YvesPicquet: Le premier objectif est de faire éclater le plafond de verre. L’offre de solutions concerne surtout le maraîchage, l’arboriculture et la vigne. D’où l’intérêt d’accueillir différents acteurs afin de donner un nouvel élan. Contrairement aux produits conventionnels, le champ des possibles apparaît infini avec le biocontrôle. Il concerne des macro ou micro-organismes, les kairomones, les phéromones, les algues, les extraits de plantes, de minéraux… Cette ouverture pluridisciplinaire correspond tout à fait à notre approche combinatoire de la protection des cultures. Elle représente notre raison d’être. En effet, nous nous adressons à toutes les agricultures. Aussi, la transition agricole participe à notre volonté d’optimisation des usages et de diminution des impacts de la production.

Jean-PaulBordes : L’élan va venir de la complémentarité entre les acteurs. Soulignons aussi la forte mobilisation. Réunir en six mois 96 adhérents d’horizons divers reste une prouesse. Elle témoigne du fort intérêt de l’ensemble de la chaîne agricole. De plus, en allouant plus de 40 M€, les pouvoirs publics actent l’enjeu clé du biocontrôle et de l’innovation. Cela est rare d’avoir autant d’acteurs publics et privés d’une telle envergure. Certains conçoivent des solutions alors que d’autres les évaluent. Collectivement, nous testons une approche holistique de la protection des cultures et non une approche ciblée par produit. On peut considérer que nous ne sommes qu’au début d’un long chapitre dont l’essentiel reste à écrire.

Jean-PaulBordes, directeur de l’Acta : « Désormais, avec l’association ABBA et les projets qu’elle porte, nous rentrons dans une conception plus collective de l’agroécologie. Les connaissances s’approfondissent dans le cadre d’une approche holistique de la protection des cultures. C’est l’avenir  ».

Sur quel aspect est-il nécessaire d’insister pour que les biosolutions soient le plus largement utilisées ?

Yves Picquet: Sans aucun doute, le déploiement ! Nous n’en sommes qu’au début. Les modes d’emploi sont tout juste appréhendés. Une fois qu’ils seront maîtrisés, nous aurons besoin d’une force considérable avec des intervenants proches des agriculteurs pour passer à la pratique. Cela prend du temps d’acculturer les conseillers et les agriculteurs sur ces nouveaux usages.

Jean-Paul Bordes: Je suis du même avis. Comme vous l’avez précisé, la protection des cultures s’appuie sur une combinaison de leviers. De fait, nous devons tester un nombre incroyable d’associations pour répondre aux objectifs agroécologiques et économiques. Nous en connaissons déjà quelques-unes mais tant reste à découvrir.

Yves Picquet: Aussi, le temps de la recherche et de l’évaluation réglementaire sont à mieux prendre compte. Précisons que de la découverte à l’autorisation de mise en marché, un produit requiert 10 à 15 ans. Là encore, du côté de l’innovation, nous sommes au début du déploiement.

Identifiez-vous des points de blocage ?

Jean-Paul Bordes: Je vois plutôt des points d’attention. Les solutions d’origine naturelle ont un effet majoritairement préventif. Aussi, la question qui se pose est : de quelle manière pouvons-nous les appliquer dans les meilleures conditions ? Souvent, il est nécessaire de croiser les rotations, les pratiques culturales en lien avec chaque condition climatique et de sol. Déployer le biocontrôle sans ces compléments techniques et agronomiques, revient à se priver d’une partie de ces solutions. Par ailleurs, si on ne connaît pas la dynamique des bioagresseurs grâce aux Outils d’aide à la décision, positionner efficacement le biocontrôle reste compliqué. Exemple avec les trichogrammes : ils doivent être lâchés dans les maïs avant la ponte des pyrales afin que les larves parasitent les œufs. Sans la connaissance des vols de pyrales, intervenir au bon moment reste difficile. De plus, tous les modèles intègrent les données météo. C’est aussi un moyen de mieux adapter les itinéraires au changement climatique. Un large éventail de solutions émerge et pas seulement en biocontrôle.

Yves Picquet: En effet, dans le futur, il n’est pas à exclure que des homologations soient délivrées avec l’utilisation d’OAD spécifiques. Cela est une très bonne chose pour sécuriser l’utilisation des biocontrôles. Leur acceptation dépend beaucoup de leur efficacité et de leur rentabilité. Par ailleurs, le digital aide à évaluer le rendement et la performance des itinéraires. Dans le cadre d’une approche globale, il faut aider les agriculteurs à gérer le risque de la transition. Sinon, personne ne change ses habitudes. C’est un point de vigilance. Tous, nous avons un travail à réaliser dans nos équipes. Nous devenons de fins techniciens.

Jean-Paul Bordes : Le transfert des connaissances s’avère fondamental. Le succès des colloques et des webinaires témoigne de l’envie d’apprendre. Nous disposons d’une force de frappe considérable avec le réseau des distributeurs et des chambres d’agriculture. C’est unique en Europe.

Yves Picquet : Cela est d’autant vrai que demain nous aurons de nouveaux profils d’agriculteurs. D’ailleurs, les programmes issus de France 2030 devraient accorder du budget aux chambres d’agriculture et à la distribution agricole. Ces deux catégories de structures interviennent au quotidien aux côtés des agriculteurs. Elles établissent une relation de confiance. En l’occurrence, le fait de séparer la vente du conseil s’avère contreproductif pour le biocontrôle et l’approche holistique. Le rapport du député Potier reconnaît cette faille.

Yves Picquet, président de Phyteis : « En trente ans, nous n’avons jamais eu autant d’innovations qu’actuellement : biocontrôle, biostimulants, micro-nutriments, robotique… Le biocontrôle ouvre lui-même de grandes perspectives. Certains n’utilisent que 5 à 10 % de cette offre, d’autres 50 %. Le champ des possibles se révèle considérable ».

L’accord entre l’ACTA et l’Inrae sur la transition agroécologique vient d’être renforcé dans le cadre du Pacte de renouvellement des générations en agriculture. Qu’implique-t-il concrètement ?

Jean-Paul Bordes: Les pouvoirs publics veulent accompagner la formation de 50 000 acteurs du conseil d’ici à 3 ans. Tout évolue : le profil des agriculteurs, leur façon de travailler, les techniques, les biosolutions, les outils, les débouchés… La jeune génération va être baignée dans l’innovation. Aussi, les techniciens partent d’une feuille blanche. Parmi les grands changements attendus dans les fermes et qui engagent les conseillers : le recours aux jumeaux numériques. Le digital simule les évolutions des systèmes d’exploitation.

Donc, l’intelligence artificielle (IA) arrive à point nommé. Elle doit établir un système de dialogue entre l’agriculteur et ses hypothèses de travail. Aussi, avec la cellule Recherche innovation transfert (RIT) que nous pilotons avec l’Inrae et la Chambre d’Agriculture France, le projet est d’accélérer la prise en compte de ces outils. De plus, nous avons de grands programmes européens, là encore dans le numérique, dans lesquels nous sommes de plus en plus leader. D’après notre recensement, 130 OAD, simples ou complexes, sont disponibles en France pour piloter la protection des cultures.

Yves Picquet: Yves Picquet: L’accélération de la mise à disposition et du partage de connaissances techniques pour accompagner la transition agroécologique dans les exploitations agricoles constitue un enjeu clé pour l’avenir. La cellule RIT répond à cet objectif. Ce partage des connaissances techniques est d’autant plus important que dans l’avenir, la protection des cultures va se complexifier. Par exemple, les plantes de services telles que les colzas à floraison précoce, associés au colza d’intérêt, perturbent les méligèthes. Des OAD permettent de mieux cibler les applications. Ainsi, le quart de l’offre en OAD provient de nos adhérents. Les techniques de désherbage évoluent également avec notamment le développement du désherbage mécanique dans certaines situations.

Tout commence donc par la semence et sa promesse de rendement mais seule une combinaison de solutions qui associe les différentes techniques, dont la phytopharmacie, garantit le résultat. Cette recherche pluridisciplinaire et agile agrandit la boîte à outils des agriculteurs. Ensuite, cette boite à outils doit être connue, déployée puis mise en œuvre sur le terrain en tenant compte des spécificités culturales ou du terroir.

Quelles sont les voies prometteuses en cours de recherche ?

Jean-Paul Bordes: L’écologie sensorielle est une des voies d’avenir. Le champ s’élargit actuellement. Ainsi, nous savons que des composés volatils présents dans le sol perturbent le taupin qui attaque les jeunes maïs. Je citerai aussi l’immunité végétale, les interactions entre les plantes et les microbiotes du sol ou des plantes, les insectes stériles…

Yves Picquet: Je confirme. Toutefois, avant de pouvoir les utiliser, nous partons pour 10 à 15 ans de recherche et de développement. Les entreprises telles que les nôtres travaillent avec des start-ups. C’est l’innovation ouverte.

Pourra-t-on demain protéger les cultures uniquement avec les biosolutions ?

Yves Picquet: Non, le but est de diminuer l’impact de la production tout en conservant une nourriture saine. On évoluera toujours en ce sens. De plus, en raison du réchauffement climatique, l’émergence de nouveaux bioagresseurs invite à plus d’agilité. Associées, toutes les technologies et innovations satisfont ces objectifs. Il faut arrêter d’opposer et plutôt composer !

Jean-Paul Bordes: Demain, la ligne de conduite résidera dans la combinaison de tout, y compris avec la phytopharmacie conventionnelle. C’est l’application du principe de la protection intégrée. Aussi, la boîte à outils doit être la plus large possible, au service d’une agriculture productive, rentable et écoresponsable.

(1)  Plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures.