«Est-ce que vous voyez une différence avec une parcelle de blé conventionnelle?» Jean-Claude Barthel, agriculteur à Hunting, entre Thionville et la frontière luxembourgeoise, a lancé sa question avec l'air satisfait de celui qui connaît déjà la réponse. Dans ce champ d'un vert profond homogène, seules les tiges de colza desséchées qui dépassent de la céréale permettent de savoir que le blé a été implanté en semis direct dans les repousses de l'oléagineux. Sur les 155 ha de cultures de vente du Mosellan, partagés entre blé, orge, colza et pois, plus de 90 ha sont désormais conduits en semis direct sous couvert.
Tout est parti d'une démarche de la chambre d'agriculture. «Il y a cinq ans, nous avons lancé un réseau de parcelles pour acquérir des références sur le semis direct sous couvert, explique Pierre Pesy, technicien dans le secteur. Mais un groupe d'agriculteurs est parti tellement vite dans cette voie que c'était à nous de nous accrocher pour suivre.» Convaincus par la première année d'essai, une demi-douzaine d'exploitants, dont Jean-Claude Barthel, décident en effet de se lancer dans l'aventure et achètent un Semeato en Cuma pour 43.000 euros. «Travailler en groupe permet non seulement de mutualiser le risque de l'investissement, mais aussi de partager les expériences», souligne Jean-Claude Barthel. L'économie de temps et de tours de tracteur a immédiatement attiré cet adepte des techniques culturales simplifiées, également éleveur, mais il avoue volontiers son scepticisme initial.
«On s'engageait tout de même dans quelque chose que l'on ne connaissait pas du tout. J'avais peur pour les rendements, et j'ai donc commencé en testant sur les moins bonnes parcelles.» Après quatre années et des essais sur tous les types de sol de l'exploitation «pour voir comment ça réagit», ses rendements n'ont pas bougé. Dès l'automne prochain, tous ses blés et ses orges d'hiver seront implantés de cette manière.
Dangereuses limaces
Le blé est semé directement dans les repousses du colza, juste après une application de glyphosate à 1,5 l/ha pour faire dépérir le couvert. Ce dernier, en occupant le terrain, empêche les adventices de se développer. Les orges d'hiver sont installées derrière un blé, dans les pailles broyées laissées au sol. En colza, l'exercice se révèle plus délicat. La petite graine peut avoir des difficultés à lever si la paille de la céréale est trop abondante, surtout après une orge d'hiver (voir l'encadré). La bonne volonté du climat est également capitale. «Si juillet est pluvieux, une partie des mauvaises herbes ont levé et sont détruites au glyphosate avant le semis, précise l'agriculteur. Mais en cas d'été sec, toutes les adventices germent en même temps après le semis et menacent d'étouffer le colza, ce qui impose un antigraminées supplémentaire.» Autre passage obligé: l'antilimace. L'exploitant l'a appris à ses dépens lorsqu'il a dû ressemer à plusieurs occasions après des assauts de cet Attila des jeunes pousses.
Les blés ne sont pas non plus à l'abri des limaces. Au semis, dont la dose est majorée de 10%, Jean-Claude Barthel passe un rouleau pour refermer les sillons, «sinon ceux-ci se transforment en autoroute à limaces». Le mollusque a arbitré le choix du couvert installé pendant la longue interculture qui précède les semis de printemps de pois ou d'orge. Le Mosellan a tenté l'expérience avec du tournesol et avec de la phacélie, mais ces deux espèces se sont révélées trop attirantes pour les limaces. Jean-Claude se refusant à introduire une seconde crucifère dans la rotation, il a écarté la moutarde et a opté pour l'avoine. Mise en place le plus rapidement possible après la récolte, celle-ci est détruite au cours de l'hiver, suffisamment tôt pour éviter de pénaliser la culture de printemps.
Obstacle psychologique
Hormis ces adaptations et des tours de plaine plus fréquents, le reste de la conduite des parcelles n'a guère évolué: la protection fongicide reste la même et l'exploitant espère même économiser sur le poste fertilisation dans les années à venir, sur la foi de résultats obtenus en Suisse. Le désherbage est mis sous étroite surveillance mais n'a pas subi de changement, à l'exception d'un programme plus lourd sur colza.
La surprise la plus désagréable a eu lieu en 2005, une année très sèche au cours de laquelle les souris ont pullulé. Jean-Claude Barthel retient surtout l'évolution de ses sols, dont la portance s'est nettement améliorée. Ses parcelles les plus superficielles ont gagné en réserve hydrique, et les cailloux ont disparu de la surface, remplacés par des turricules de vers de terre.
L'obstacle le plus difficile à franchir aura été psychologique. «Quand on sème à l'automne, on nous prend pour des fous, raconte Jean-Claude. C'est difficile quand tout le monde a des parcelles vertes, et que dans les tiennes on ne voit que des chaumes!» Mais, à partir d'avril, les champs ont repris un aspect ordinaire. Plus important encore: la moissonneuse, elle non plus, ne voit pas de différence.
La délicate gestion des pailles
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«La gestion des pailles constitue l'aspect le plus délicat du semis direct sous couvert», estime Jean-Claude Barthel. Le colza, avec ses petites graines, est la culture la plus sensible à la couverture du sol. Jean-Claude recommande de ne pas faucher la nuit, et de travailler avec un broyeur bien révisé. «Le blé se broie bien, mais les pailles de l'orge d'hiver sont plus problématiques car elles constituent un véritable tapis.» Même la paille de blé, qui se dégrade bien, peut causer des soucis. «J'ai roulé deux jours sans éparpilleurs, qui m'ont lâché au moment de la récolte du blé. Cela n'a pas pardonné», constate-t-il devant les trous en forme de bandes dans son orge d'hiver implantée derrière. Pour limiter les problèmes causés par l'orge d'hiver, nécessaire à son élevage de porcs, l'exploitant a choisi d'exporter toute la paille pour cette espèce, contrairement à celle derrière le blé, qu'il laisse intégralement sur place.