C’est peu de dire que les champs de canne à sucre dominent le paysage rural de l’État de São Paulo. Des milliers d’hectares à perte de vue s’étalent d’un bout à l’autre de cette région du Sud-Est brésilien. Mais de plus en plus, une culture joue des coudes et parvient à grignoter des hectares : l’arachide. Cette plante dont le fruit, la cacahuète, est célèbre pour accompagner nos apéritifs n’a pourtant pas toujours été considérée comme une production à part entière par ici.
Aujourd’hui, l’État de São Paulo ne concentre pas moins que 90 % des surfaces d’arachide du pays. Mais c’est le bond en avant de la culture qui détonne. Depuis 2015, la surface au national a été multipliée par deux, passant de 160 000 à plus de 300 000 hectares, soit une hausse moyenne de 10 % par an. En volume, la production flirte désormais avec les 900 000 tonnes par an.
Alors que des mastodontes du négoce international dominent les filières du soja, du maïs ou encore du sucre, dans la filière de la cacahuète, c’est une coopérative du centre de l’État de São Paulo, la Coplana, qui s’est imposée. Son président Bruno Rangel, producteur à Guariba au cœur de l’État de São Paulo, explique comment la culture s’est implantée dans la région. « Ça remonte aux années soixante-dix, en même temps que l’essor de la production de canne à sucre dans la région car il nous fallait une culture supplémentaire pour la rotation », relate-t-il.
L’intérêt de l’arachide est donc d’abord agronomique. La canne à sucre, qui est généralement la production principale, se cultive en cycles de cinq ou six ans avant d’être renouvelée. « La canne à sucre est une graminée et après un cycle, nous avons besoin de faire un recyclage des nutriments du sol. Nous utilisons alors une légumineuse sur un an, ce qui permet de capter l’azote de l’air », explique-t-il.
La rotation de la canne comme moteur
La réussite de la Coplana, c’est d’avoir su valoriser cette culture de rotation bien au-delà des espérances initiales : « Les légumineuses principales par ici sont le soja et l’arachide, mais la Coplana a rapidement fait le choix de se spécialiser dans la cacahuète. » Une spécialisation qui s’est accompagnée de moyens qui font aujourd’hui la différence.
« La coopérative a investi très tôt dans la recherche et le développement de variétés. Beaucoup de nos collaborateurs sont allés en Argentine qui est aussi un gros producteur, pour comprendre comment ils conduisaient la culture là-bas, ajoute Bruno Rangel. Nous avons des agronomes spécialisés et nous accompagnons les adhérents du semis jusqu’à la récolte et nous prenons le relais sur la commercialisation. Nous avons d’ailleurs été les premiers à exporter des cacahuètes du Brésil. »
En matière de culture de rotation, le soja reste pourtant une option très intéressante pour les producteurs de canne de l’État de São Paulo. La proximité des grands ports d’exportation, le temps d’implantation réduit (trois mois environ contre cinq pour l’arachide) séduit les agriculteurs pour 65 % de leurs surfaces en rotation. Mais alors d’où vient cet intérêt croissant pour la cacahuète ?
« Ces dix dernières années, nous observons que la production de cacahuète a une rentabilité supérieure au soja et même à la canne à sucre. Les prix sont moins variables car c’est le résultat d’une négociation plus directe entre acheteur et vendeur, constate Bruno Rangel. Le soja, c’est une commodité qui est cotée sur les grands marchés à terme internationaux, le prix peut être très volatil. C’est aussi une culture plus facilement rentable à grande échelle, à partir de plusieurs centaines d’hectares. »
Des producteurs spécialisés
Beaucoup de producteurs d’arachide sont d’abord des producteurs de canne à sucre, mais ce ne sont pas les seuls. Des agriculteurs se sont spécialisés dans sa production et louent chaque année des surfaces de canne en rotation pour s’implanter. Des grandes usines de canne, comme celle de la São Martinho à une poignée de kilomètres de Guariba, possèdent elles aussi de vastes surfaces de canne qu’elles doivent renouveler.
Ces producteurs spécialistes de la cacahuète sont donc un rouage essentiel pour l’industrie. Bruno Rangel amène une autre explication à l’existence de ces producteurs itinérants spécialisés. « La production d’arachide est très technique et il faut plusieurs années avant de maîtriser cette culture, ce n’est pas pour n’importe qui. Les spécialistes sont souvent producteurs depuis plusieurs générations et sont très bien équipés », observe-t-il.
S’adapter au marché européen
La coopérative Coplana collecte aujourd’hui 100 000 tonnes de cacahuètes par an et en exporte 30 000. Mais l’arachide n’est donc pas une culture simple, comme abonde Sylvio Lima, qui travaille pour la coopérative depuis près de quinze ans. « Vous dépendez beaucoup du climat. Quand l’arachide est arrachée, il faut la retourner pour que les cacahuètes prennent un peu le soleil sur trois ou quatre jours. Et s’il pleut trop à ce moment-là, c’est fichu », explique-t-il.
Mais ce n’est pas la seule contrainte. La pression des maladies ou des insectes est forte tandis que l’utilisation des produits phyto doit être maîtrisée. « Il y a plusieurs molécules interdites pour les marchandises qui iront vers l’Europe par exemple. Nous communiquons beaucoup auprès des adhérents, car si ces molécules sont utilisées, nous déclassons et le prix payé est bien inférieur. Mais les producteurs n’ont pas toujours le choix malheureusement », ajoute-t-il.
Ce point est tellement important qu’une grande affiche listant les molécules interdites en Europe est tendue dans le hall d’entrée des bureaux. L’Union européenne est encore loin d’être un acheteur important de cacahuètes brésiliennes mais c’est une des destinations qui attire le plus économiquement. Les prix payés sont supérieurs de 100 à 150 € par tonne par rapport à la Chine ou la Russie, principaux clients du Brésil aujourd’hui. Il faut toutefois montrer patte blanche. Sur la soixantaine d’entreprises exportatrices de cacahuètes au Brésil, seulement une vingtaine dispose d’une autorisation d’exporter vers l’Europe.
Miser sur la traçabilité
Pour satisfaire cette clientèle exigeante, notamment les grands groupes agroalimentaires, la coopérative insiste sur la traçabilité. « Nous ne prenons pas de risque. Au moment de la récolte, on connaît la provenance des camions à la parcelle près », complète Sylvio Lima. La Coplana s’occupe ensuite de l’aspect industriel. Calibrage, l’épluchage, emballage…
Toutes ces étapes sont réalisées dans la ville voisine de Jaboticabal, à une vingtaine de minutes de Guariba. Les produits sont très variés. Avec ou sans peau, blanchie, torréfiée ou non, transformée en huile alimentaire ou encore en poudre… « La poudre est très utilisée dans des formules pour sportifs, notamment ceux qui pratiquent la musculation. C’est un produit qui progresse bien sur le marché brésilien », ajoute Bruno Rangel.
Des investissements face à la concurrence locale
La culture nécessite des équipements spécifiques onéreux mais la transformation n’est pas en reste sur ce point. « Nous avons besoin de beaucoup d’unités de stockage pour chaque type de produit et de qualité un peu partout et bien sûr l’usine de transformation. C’est beaucoup d’infrastructures », ajoute Sylvio Lima.
Des infrastructures et des capacités qu’il faut faire tourner avec du volume. « Il y a un véritable intérêt pour la production de cacahuètes pour les agriculteurs brésiliens mais la concurrence à la collecte est devenue forte. On voit de nouveaux négociants arriver sur le marché », explique Bruno Rangel. La coopérative doit donc redoubler d’effort pour capter un maximum de tonnage et diluer ses charges fixes.
Toujours dans l’idée d’accompagner une filière en croissance et rester compétitif, la Coplana ainsi décidé cette année d’émettre 100 millions de reais (17 millions d’euros) d’obligations agricoles (CRA) pour moderniser et augmenter ses capacités. Il s’agit de ne pas rater la vague qui voit le Brésil devenir lui aussi un acteur majeur de l’arachide sur la scène mondiale. D’un timide 23e rang en 2010, c’est désormais le 10e plus gros producteur. Et ce n’est certainement pas fini.