En 1992, Marco Melis a repris une partie de l’exploitation familiale, à peine 25 ha et un troupeau de brebis laitières de race sarde, à Sant’Andrea Frius en Sardaigne. Son père livrait le lait à une coopérative, au prix de 0,50 €/l. Au moment de la reprise, Marco a choisi une laiterie privée qui le rémunérait 0,60 €/l.
Son mariage avec la dynamique Maria, un an après son installation, a changé la donne. Non issue du milieu agricole, elle l’a mis face aux contradictions économiques de son système : « Dans quel domaine, à part en agriculture, vend-on son produit à un client, sans savoir combien il nous en fera l’aumône ? », l’a-t-elle interpellé. Le ton était donné. Maria ne travaillerait avec lui que s’il acceptait d’agir comme un entrepreneur. En 1997, ils se lancent dans la production caprine. « Une catastrophe, se souvient Marco, les chèvres dévoraient les vignes du voisin et les arbres de l’exploitation. C’était un stress quotidien ainsi que des problèmes avec le voisinage. Du jour au lendemain, je les ai envoyées à l’abattoir. »
En 2000, c’est la fin de la traite à la main. Maria décroche une première subvention pour modernisation, puis elle se met à transformer, dans son arrière-cuisine, le lait en différents produits qu’elle vend sur les marchés municipaux. En 2004, ils investissent 30 000 € dans une fromagerie et un saloir, financés pour moitié par une subvention municipale.
Le manque d’eau est crucial dans cette zone, qui n’est pourtant pas la plus aride de l’île. Leurs terres ne sont pas irriguées, ce qui fait que les 200 oliviers et 200 amandiers, plantés par le père de Marco, ne produisent quasiment plus. « Ils ne servent plus qu’à faire de l’ombre. Une perte économique préjudiciable », constate amèrement Marco. Puisque l’adduction publique d’eau est en trop mauvais état, le couple a investi dans un système pour rendre potable l’eau de leur puits et mettre aux normes la fromagerie : 1 500 € d’investissement et 800 € de charges annuelles, entre l’entretien et les analyses. Les brebis ne boivent qu’à la bergerie le soir. Avec cette contrainte, ils ont renoncé à engraisser les agneaux, qu’ils vendent à la naissance.
Large gamme de produits
Au niveau de l’assolement, Marco sème des prairies mixtes, c’est-à-dire trèfle, orge et avoine. La céréale est pâturée en début de saison, et s’il pleut, le trèfle en arrière-saison. « Pour moissonner ou faucher, nous n’avons pas assez de surface et les rendements sont trop faibles. Nous économisons donc les frais de mécanisation et les brebis pâturent », explique Marco. Pour complémenter le troupeau, ils achètent chaque année 250 quintaux de luzerne, de la paille pour la litière, du maïs, du pois et de l’orge.
La campagne laitière s’étale d’octobre à juillet, avec une seule traite par jour le dernier mois. N’élevant pas les agneaux, le lait riche en colostrum, peu propice à la fabrication fromagère, est transformé en flan au citron, le petit-lait en ricotta. La gamme, tout au lait cru, comprend au-delà du classique pecorino (fromage à pâte pressée), des yaourts ou encore des pâtes tartinables. « Vingt références, pour s’adapter à la qualité du lait au fil des saisons », argumente Maria. L’éleveuse et son fils, Adriano, font trois marchés par semaine : un jour, ils transforment et le lendemain, ils vendent. Ils privilégient les fromages frais pour plusieurs raisons : la trésorerie et éviter d’être trop en concurrence avec les classiques pecorino.
Adriano, 21 ans, et sa sœur Sonia, 26 ans, prennent des cours du soir, pour décrocher un diplôme agricole afin de s’installer avec leurs parents. La dotation jeunes agriculteurs (DJA) dans cette zone défavorisée avoisine les 35 000 €, auquel s’ajoutent d’autres avantages comme l’exonération de TVA sur investissement. Sonia et Maria voudraient agrandir le saloir et ouvrir un point de vente à la ferme. Quant à Adriano, il souhaiterait élever une vingtaine de truies en plein air, afin de valoriser le petit-lait. Un projet de pizzeria à la ferme, avec leurs fromages et charcuterie, ferait l’unanimité au sein de la famille. Mais il faudra acheter la farine et les tomates à l’extérieur. « Dommage qu’il manque autant d’eau », conclut Marco.