À quel moment un exploitant agricole peut recourir à un GFA mutuel ?
Hervé Lapie : Le GFA mutuel (1) est une société civile particulière entre personnes physiques, visant à créer ou conserver les exploitations agricoles. Il apporte une réponse collective à une situation individuelle. Par exemple, pour un exploitant agricole qui est confronté à un achat de foncier et qui ne peut pas y faire face tout seul, on va mutualiser les forces pour lui venir en aide et acheter du foncier de manière collective. Le GFA mutuel va ensuite assurer la gestion de ce foncier dont il est le propriétaire, en les donnant en location, via un bail à long terme – de 25 ans dans la Marne et avec une clause de revoyure à la dixième année, pour savoir si on continue avec le fermier, s’il a bien joué le jeu ou si on doit réétudier son bail. Dans 95 % des cas, on continue l’aventure.
En quoi, face à la crise, le GFA mutuel peut être une solution pour les agriculteurs en difficulté ?
H.L. : Si un GFA mutuel a pour objectif, au départ, d’installer des jeunes ou de maintenir des fermiers en place, il accompagne aussi de plus en plus les agriculteurs en difficulté contraints à la décapitalisation. Passer par un GFA mutuel leur permet de vendre une partie de leurs terres tout en continuant à les exploiter, puis, à terme, ça peut arriver, de les racheter. Ça n’est pas évident de se séparer de ses terres, mais quand ils viennent nous voir, c’est souvent parce que c’est leur dernière cartouche et qu’elle va leur permettre de maintenir leur exploitation à flot. Un GFA mutuel ne vend pas, et il ne peut pas reprendre pour exploiter. C’est une garantie pour le cédant qui a la possibilité de progressivement racheter ses parts. Un tiers des GFA marnais pratiquent le retrait, dès lors que l’exploitant a un nombre de parts suffisant. Sinon, si, par chance, il a un héritier, un enfant qui veut s’installer, le bail lui est reconduit dans 90 % des cas. La terre ne lui appartient plus ; en revanche, il l’a toujours à disposition pour la travailler.
Traité à ses débuts de sovkhoze, le GFA mutuel a longtemps eu ses détracteurs. Est-ce toujours le cas ?
H.L. : Oui, c’est vrai, on nous a dit : « Vous allez recréer le modèle russe. » Mais pas du tout. Et d’ailleurs pour mettre fin à la critique, nos GFA mutuels sont constitués à l’échelle de nos cantons plutôt que du département. Aujourd’hui, on ne le dit plus. Les notaires furent les plus critiques au départ. Maintenant, ils ont des parts dans nos GFA. Nous avons même un notaire dans un comité de gérance. Plusieurs départements nous ont sollicités en plus ces derniers mois pour leur expliquer le dispositif, parce qu’il est une solution intéressante dans la conjoncture actuelle et aussi avec l’arrivée des investisseurs extérieurs à l’agriculture.
N’entrez-vous pas en concurrence avec les Safer ?
H.L. : Nous travaillons très bien avec les Safer. Quand un exploitant appelle la Safer en disant qu’il souhaiterait vendre des terres mais qu’il n’y parvient pas, la Safer fait en général tout de suite appel aux GFA mutuels. Et ça se passe très bien.
Précisément, vos souscripteurs ne sont pas tous issus du milieu agricole, quel outil de contrôle avez-vous pour distinguer les accapareurs des vrais investisseurs ?
H.L. : Le GFA mutuel est une force, car son instance dirigeante, le comité de gérance, a le pouvoir d’accueillir les souscripteurs – des personnes physiques uniquement – qu’il souhaite dans son GFA mutuel. Ce comité de gérance est constitué en général de neuf agriculteurs, avec toujours plus de représentants de propriétaires que de fermiers pour garder l’équilibre. Par ailleurs, chaque porteur ne peut pas détenir plus de 30 % du capital, et est limité à 5 % du montant des voix total, en assemblée générale. Ça empêche toute mainmise.
Qui investit dans les GFA mutuels ?
H.L. : Dans la Marne, le nombre de parts souscrites est supérieur au nombre de parts à vendre, le GFA est souvent amené à faire des choix tant les candidats à l’investissement sont nombreux. Au fil des projets, nous faisons en sorte que les nouveaux porteurs soient prioritaires, afin d’élargir le stock de porteurs et renouveler les générations. La majorité des investisseurs sont des agriculteurs, mais parmi eux, nous comptons aussi beaucoup d’acteurs du monde rural, des proches de la famille, le pharmacien, le notaire, le dentiste, le boulanger… La dynamique est collective. On en voit aussi arriver des nouveaux, des personnes originaires du département mais partis s’installer ailleurs et qui souhaitent revenir aux sources.
Quel intérêt d’investir dans la terre ?
H.L. : Ce qu’il faut comprendre avant tout est que ça n’est pas du bénévolat : si cela marche depuis 44 ans, c’est qu’on a su trouver un équilibre entre solidarité et rentabilité. La rentabilité locative de la part est en moyenne de 2 % par an, et sa valeur augmente, par ailleurs, en moyenne de 3 % par an (avec l’évolution du prix du foncier). Donc le rendement brut, s’établit en moyenne entre 5 et 5,5 %. C’est un placement plutôt rémunérateur qui présente aussi un avantage fiscal, par rapport à l’ISF et les droits de succession. Et puis la terre, c’est la sécurité, elle sera toujours là.
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(1) Il existe d’autres types de GFA :
• le GFA familial créé entre les membres de la famille. Il permet d’éviter le démantèlement de l’exploitation ou le versement de soultes aux cohéritiers.
• le GFA investisseur créé à l’initiative de sociétés d’investisseurs. Il permet de dissocier la propriété de l’exploitation du sol.