Lier les transitions énergétique et agroécologique tout en créant de l’emploi dans les campagnes : les promesses de la méthanisation sont séduisantes. Il s’agit aussi de souveraineté énergétique, d’économie circulaire et de valorisation des déchets. Sur le papier, la filière paraît vertueuse et pourrait mettre d’accord acteurs du monde agricole et militants écologistes opposés depuis des décennies.
Et pourtant, crispations et divisions sont légion. « Aujourd’hui, il y a 275 associations d’opposition et plus de 330 000 signatures de riverains opposés à des projets ou unités en fonctionnement », souligne Daniel Chateigner, du CNSM (1), collectif qui regroupe des scientifiques opposés au développement de la filière.
Depuis les petites unités à la ferme jusqu’aux gros méthaniseurs industriels, la palette des projets de méthanisation est variée. Nature et provenance des intrants, zones d’épandage et modèles agricoles adossés aux méthaniseurs sont autant de paramètres qui impactent les externalités positives ou négatives des projets.
Des batailles jusque dans les cours d’école
Malgré cette grande diversité, les arguments d’opposition sont presque toujours les mêmes. Les odeurs, les transports, l’impact paysager et les risques d’accidents sont pointés du doigt. Ces arguments sont martelés sur les réseaux sociaux. Les riverains de projets en développement qui cherchent des informations se voient promettre l’enfer. Les opposants sont actifs dans la presse et bruyants en réunions publiques. Les agriculteurs, agacés, sont parfois sur la défensive. Il en résulte des tensions. « Nous avons des adhérents porteurs de projet qui subissent de la diffamation. Il y en a même qui ont vu leurs enfants pris à partie dans des cours d’école, cela va trop loin ! », regrette un administrateur de l’AAMF (2).
La méthanisation française est jeune. Ceux qui ont essuyé les plâtres ont pu commettre des erreurs. Des négligences, parfois graves, portent atteinte à l’ensemble de la filière. C’est notamment le cas de l’accident de Châteaulin en 2020, qui a privé d’eau potable 180 000 Finistériens pendant plusieurs jours à la suite d’une fuite de digestat. Ce méthaniseur appartient à la multinationale Engie, mais il impacte de nombreux agriculteurs porteurs de projet. D’autres épisodes de pollution ponctuels ont terni la réputation d’une filière qui a pourtant des atouts environnementaux.
La méthanisation « à la française » est scrutée par de nombreux spécialistes des questions agronomiques, environnementales et énergétiques. Ils s’orientent vers un consensus : le bilan environnemental dépend du modèle agricole, mais il est globalement très positif. Les économies de gaz fossile et d’engrais de synthèse pèsent fortement dans la balance. Les premières analyses sur l’épandage de digestat n’indiquent pas de détérioration des sols. Le CNSM réfute ces conclusions. « Il manque des calculs. Et c’est toujours une approche de comparaison qui est faite, regrette Daniel Chateigner. Si on compare à de mauvaises pratiques, ça n’a pas de sens. »
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Agriculteurs opposés
Une part de l’opposition est quant à elle issue du monde agricole. La Confédération paysanne et la Coordination rurale ont toutes deux pointé du doigt des risques de dérives de la filière. Les syndicats craignent une hausse du prix du foncier et un accaparement des terres par les exploitations équipées. Le risque de voir s’envoler les prix du maïs ou des fumiers est également mis en exergue, tout comme les montants d’investissement colossaux, qui figent les systèmes et endettent les agriculteurs.
Enfin, la vocation nourricière de l’agriculture est parfois évoquée. Le rôle de l’agriculture dans la production d’énergie n’est pourtant pas nouveau. Comme le rappelait le député régionaliste morbihannais Paul Molac, lors d’une journée des agriculteurs méthaniseurs bretons, « dans l’histoire, l’agriculture a toujours rempli cette tâche : du bois de haies pour le chauffage, aux chevaux pour le transport ».
Cadre et communication
Une mission d’information s’est déroulée en 2021, son rapport a été validé à l’unanimité par les membres de la mission, issus de tous les groupes du Sénat. Son rapporteur, Daniel Salmon, sénateur écologiste, estime qu’une partie des inquiétudes peut être apaisée. « Pour commencer, il faut replanter des haies. Cela réglera tout de suite la question paysagère. Si les stockages sont bien faits, les problèmes d’odeurs peuvent également être résolus. »
Il recommande un développement de la méthanisation comme complément de revenu. L’agriculteur doit pouvoir gagner sa vie avec ses productions agricoles traditionnelles. « Je pense qu’il faut aller vers un sous-dimensionnement des méthaniseurs plutôt que le contraire. Cela limiterait les transports. »
Le sénateur déplore aussi des manques de transparence et de communication favorisés par un cadre réglementaire trop permissif. « À moins de 30 tonnes d’intrants par jour, il n’y a pas d’obligations d’information ou d’enquête publique. Les citoyens sont parfois mis devant le fait accompli. Ce manque de communication nuit à tous. Pire : parfois, on passe de 29,9 tonnes au moment de l’installation au double dans les mois qui suivent. Les riverains ont l’impression d’avoir été trompés. »
La meilleure des clés reste une communication la plus précoce et transparente possible. Des initiatives vont dans ce sens, comme le portail MethaFrance, ou le recensement des intrants et surfaces par les autorités régionales. La Bretagne fait ce travail depuis 2018, elle est suivie par les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Pays de la Loire depuis l’année dernière.
(1) Collectif national scientifique méthanisation raisonnée.
(2) Association des agriculteurs méthaniseurs de France.