Jusqu’au mois de juin, il n’existait pas moins de 23 libellés d’organisations dédiées au mal-être des populations agricoles dans toute la France. Sous l’impulsion des rapports des parlementaires Olivier Damaisin, Françoise Férat et Henri Cabanel, le Conseil de l’agriculture française (1) a, en effet, entamé ce même mois, une phase de réorganisation en réunissant toutes les entités sous le même nom de cellules « Réagir ».

La fin des « cellules de clochers »

Insuffisant, a jugé le gouvernement qui va plus loin dans sa feuille de route présentée le 23 novembre à Paris : s’il propose de s’appuyer sur ces forces déjà présentes, il met en place des comités départementaux, avec des référents clairement distincts et un coordinateur national en chef d’orchestre. C’est la fin « des cellules de clochers », ainsi nommées sur le terrain, montées au gré des organisations professionnelles et associations, qui malgré toute leur bonne volonté, contribuaient à brouiller l’information en matière de soutien aux agriculteurs en difficulté, et donnaient lieu à de très fortes disparités entre les départements. En clair, les hommes et les femmes engagées localement, sur un plan social, économique ou de santé afin de mieux prévenir le suicide, marcheront désormais d’un même pas, à l’échelle du département, et sous une même enseigne­, souhaitée neutre et identifiable. Ça n’est pas rien.

Un agriculteur se suicide tous les jours, trois salariés, tous les cinq jours. Ce qui fait au total, huit personnes du monde agricole qui mettent fin à leur vie en moins d’une semaine (2). L’urgence en termes de réorganisation était évidente.

Ça ne fera pas tout. Aux côtés du ministre de la Santé, Olivier Véran, et du secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail, Laurent Pietraszewski, Julien Denormandie a rappelé en préambule, ce 23 novembre, le caractère « central », en matière de mal-être, de la rémunération des agriculteurs. Il a redonné les ambitions des lois Egalim, de faire que « chaque agriculteur puisse vivre dignement de son métier ». Il a aussi souligné le rôle essentiel des consommateurs. « En choisissant de consommer des produits locaux et de les payer au juste prix, nous pouvons tous les soutenir économiquement. » Bref, il a surtout démontré que l’équation comportait encore trop de variables pour être définitivement résolue. Reste alors l’humain.

Un appel aux banques

Outre son souhait de remettre de l’ordre parmi les acteurs en place, le gouvernement a donc appelé à « la mobilisation collective ». Il entend ainsi procéder à la formation de sentinelles. À savoir des personnes en contact avec les agriculteurs et de ce fait susceptibles de repérer des situations de mal-être et de risque suicidaire. Le vétérinaire, le négociant, le contrôleur laitier, le collègue agriculteur, le conseiller, le retraité, le médecin de famille… Tous pourront ainsi, s’ils le souhaitent, être associés à ce nouveau réseau. Ils seront formés à ce dessein par la MSA. « Je lance un appel aux banques à rejoindre le réseau des sentinelles, a ajouté le ministre de l’Agriculture à l’issue de la conférence. Ce serait un acte clair de leur part. Deviennent-elles, elles aussi, des sentinelles ? À l’évidence, il faut que oui. Mais elles n’en ont pas pris l’engagement à ce jour. »

Les étudiants ciblés

En question, le secret bancaire. Il n’est cependant pas remis en cause dans le dispositif : « La sentinelle n’a pas vocation à dévoiler des situations, éclaire Franck Chanquoy, expert-comptable au sein du groupe BSF, membre d’AgirAgri qui a participé aux travaux d’élaboration de la feuille de route. Il s’agit d’inciter un agriculteur en difficulté à s’adresser à l’une des structures d’aide en place. Pas d’ingérence. Nous, experts-comptables, devrons être formés comme sentinelles. Pour autant, nous sommes aussi tenus par le secret professionnel et il ne sera en rien dévoyé par ce dispositif. »

Parmi les autres sentinelles ciblées : les étudiants. Le gouvernement crée des modules d’enseignement aux risques psychosociaux, à destination des futurs agriculteurs et professionnels du secteur. De même, les salariés des coopératives seront formés à une meilleure détection, tout comme les Safer et les chambres d’agriculture devront renforcer leur accompagnement.

Plusieurs points restent en suspens et feront l’objet de nouveaux travaux, a prévenu le ministre de l’Agriculture. Le gouvernement a notamment créé un groupe de travail « sur la possibilité d’asseoir les cotisations sociales sur les revenus de l’année en cours plutôt que ceux de l’année précédente ». Une autre réflexion menée par la direction générale de la cohésion sociale, du ministère de l’Agriculture, et de la MSA, est lancée en matière d’accès au RSA et à la prime d’activité. Et pour faciliter la transition vers la retraite et l’accompagnement d’un jeune qui souhaite s’installer, le gouvernement expertisera la possibilité de mettre en place une aide relais.

La majorité des suicides au sein du monde agricole concerne, en effet, les plus de 65 ans. Julien Denormandie a rappelé à leur égard « la revalorisation du montant des retraites agricoles les plus faibles ».

Des chiffres actualisés

L’ensemble des actions devraient se traduire par un budget supplémentaire de 12 M€ par an « de la part du gouvernement et des parties prenantes », a indiqué le ministre sans détailler son propos.

Enfin, la MSA a annoncé, outre « un gros travail d’humanisation mené sur ces courriers » et le renforcement de sa plateforme Agri’écoute (3), pouvoir désormais communiquer les chiffres concernant les décès par suicide non plus à cinq, mais à deux ans.R. Aries

(1) Le CAF est constitué de la FNSEA, JA, CNMCCA, Coop de France, Fédération nationale du Crédit agricole, la MSA et les chambres d’agriculture. (2) Statistiques MSA 2016. (3) 09 69 39 29 19 : numéro joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.