Les organismes de gestion (ODG) des signes officiels de la qualité et de l’origine (SIQO) sont prévenus : il va falloir renforcer les cahiers des charges. « La promesse faite au consommateur doit être réaffirmée et tenue en termes de différenciation et de qualité, y compris environnementale », indique le projet de loi issu des États généraux de l’alimentation (EGA), voté à l’Assemblée nationale le 30 mai dernier.

Dans son avis publié le 19 juin, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) renchérit, en recommandant aux ODG de « compléter leurs cahiers des charges en intégrant des engagements supplémentaires comme le respect du bien-être animal ou la certification environnementale des exploitations agricoles ». Alors que l’agriculture biologique est régie par une réglementation européenne, les appellations d’origine protégées (AOP), indications géographiques protégées (IGP), spécialités traditionnelles garanties (STG) et des labels rouges sont visés. Les filières d’élevage sont éminemment concernées avec comme figure de proue les AOP laitières françaises, fortes de leurs quarante-cinq fromages, trois crèmes et deux beurres.

Lenteurs administratives

Si l’accent est mis sur le respect de l’environnement, la possibilité d’intégrer ce critère dans les cahiers des charges des SIQO n’est que récente. « Avant l’aval de Stéphane Le Foll (alors ministre de l’Agriculture, N.D.L.R.) en 2016, les pouvoirs publics considéraient les exigences environnementales comme n’étant pas de nature à améliorer la qualité du produit final », rapporte Michel Lacoste, vice-président du Conseil national des appellations d’origine laitière (Cnaol).

Si le feu vert est désormais donné, les délais de modification des cahiers des charges restent un obstacle (lire l’encadré ci-dessous). « Nous ne sommes pas assez réactifs pour répondre aux attentes sociétales », déplore Stanislas Delabasle, président des fromages AOP de Normandie.

Pour autant, l’idée d’harmoniser les cahiers des charges par des mesures communes ne séduit pas. « Cela conduirait à appauvrir les promesses faites aux consommateurs, assure Michel Lacoste. Chaque territoire présente des spécificités qu’il convient de respecter. Par exemple, déterminer une durée minimale de pâturage commune à toutes les AOP n’aurait pas de sens. » Toutefois, un consensus pourrait se dessiner autour de l’interdiction de l’utilisation d’aliments OGM. « La majorité des AOP laitières ont intégré cette règle, rapporte le président du Cnaol. Nous réfléchissons à sa généralisation. »

En matière d’alimentation du cheptel, le cahier des charges des producteurs de lait à comté, premier fromage AOP de France, est en passe d’être renforcé. « Nous allons réglementer la pratique de l’affouragement en vert pour maintenir le pâturage, confie Claude Vermot-Desroches, président du Comité interprofessionnel de gestion du comté. Nous prévoyons également d’encadrer les modes d’élevage, en limitant la productivité à 8 500 kg de lait par vache et par an, et en plafonnant la production laitière à 1,2 million de litres par élevage. »

Vers 100 % de lait cru ?

Autre point sensible mis en exergue par le rapport du CESE : le traitement thermique du lait. Et sa position est pour le moins tranchée. « L’utilisation du lait pasteurisé, voire thermisé, pour la fabrication de fromage ou de beurre est en contradiction avec l’esprit et les finalités des SIQO. Notre assemblée souhaite que dans l’avenir, les produits bénéficiant d’une AOP ne soient qu’au lait cru. »

Un pavé dans la mare, alors que l’emblématique accord ayant mis fin au conflit historique du camembert en février dernier repose sur la cohabitation de deux fromages sous le fronton d’une « grande AOP » : l’un au lait cru, et l’autre au lait pasteurisé (1). « Toutes les AOP laitières proposent une recette au lait cru, et les trois quarts des fromages sont fabriqués avec cette méthode que nous encourageons, défend Michel Lacoste. Néanmoins, les risques sanitaires ne sont pas les mêmes selon les produits. » Pour Stanislas Delabasle, « produire du lait à destination d’une fabrication au lait cru est une responsabilité supplémentaire pour l’éleveur, qui implique un suivi très strict de la qualité du lait et un contact étroit avec la laiterie pour l’alerter du moindre problème. Cela ne s’improvise pas ». Michel Lacoste en appelle à la puissance publique. « Si l’État demande aux filières laitières AOP de développer les fabrications au lait cru, il faudra engager les moyens supplémentaires pour accompagner la filière. Car les enjeux de santé publique sont importants, et les contrôles sanitaires contraignants et onéreux. »

« Imitations et usurpations »

Au-delà de ces considérations techniques, la question du traitement thermique du lait implique des enjeux commerciaux pour la filière. « Les produits fabriqués au lait pasteurisé sont plus adaptés pour l’exportation », reconnaît Stanislas Delabasle. D’après le Cnaol, près de 13 400 tonnes de produits laitiers AOP sont exportées chaque année, soit près de 6 % de la production annuelle.

Pour autant, Michel Lacoste estime que les AOP laitières sont « fragilisées par les imitations et les usurpations. Les signes officiels de qualité sont bien défendus sur le plan international grâce à leur reconnaissance européenne, mais ils ne le sont pas assez à l’échelle nationale, tempête-t-il. Les AOP sont souvent citées comme exemple de partage de la valeur dans les filières, mais aucune volonté de les défendre n’émerge des pouvoirs publics ». Au tour de l’État de réaffirmer ses promesses ?

(1) Lire La France agricole n° 3753 du 22 juin 2018, p. 13.