Véritable plaie pour les agriculteurs et salariés agricoles, les TMS couvrent l'ensemble des symptômes musculo-squelettiques liés à l'activité professionnelle. Ces douleurs ou gênes ressenties lors des mouvements sont dues à des gestes répétitifs, des mouvements en force, le port de lourdes charges, des positions pénibles, des vibrations, des postures extrêmes (travailler avec les bras au-dessus des épaules), aux mouvements de torsion du poignet, du tronc, de flexion et d'extension du coude, à l'utilisation d'outils vibrants.
« La marche de l'entreprise compte aussi, rappelle Patrice Heurtaut, médecin conseil à la caisse centrale de la MSA. L'origine des TMS déborde des problèmes liés à la gestuelle. Les conditions de travail influent. »
Le stress, la charge mentale, les cadences, un travail sous contrainte de temps, une absence ou une insuffisance de temps de récupération, un faible soutien social au travail, l'insuffisance de marges de manoeuvre, tout ce qui contribue aux risques psycho-sociaux favorise aussi les TMS. Et explique cette sorte d'épidémie qui empire depuis vingt ans. L'évolution du travail a fait diminuer les douleurs liées au port de charges mais il y a eu transfert d'une nuisance à l'autre, en particulier vers les vibrations ou encore la contrainte des horaires et des cadences.
L'ÉLEVAGE LAITIER, SECTEUR LE PLUS EXPOSÉ
L'analyse des maladies professionnelles (1) du régime agricole entre 2008 et 2012 a été publiée en février 2015 par la MSA. Les TMS représentent 93 % d'entre elles pour les actifs agricoles, contre 87 % dans le régime général. En 2012, on a décompté 4 875 cas sur 5 253 maladies professionnelles déclarées (2). Deux tiers concernaient les salariés et un tiers les agriculteurs.
La viticulture, l'élevage de gros animaux et les cultures spécialisées sont les secteurs les plus touchés. L'élevage bovin lait est en nombre le plus exposé et les atteintes continuent de croître chaque année : de 370 en 2009, elles passent à 440 en 2012. Entre bruit, sol mouillé, posture difficile pour le dos et les épaules lorsqu'on nettoie les trayons ou quand on pose les griffes de traite, obligation de lever les bras pour actionner les boutons d'ouverture de portes, distribution de fourrage, paillage des veaux et contrainte de temps, les atteintes musculo-squelettiques se multiplient.
L'élevage de volaille recèle un nombre inférieur de TMS mais, en proportion, c'est le premier secteur atteint avec un taux de fréquence de plus de 7 TMS pour 1 000 affiliés, contre 4 pour 1 000 en élevage bovin lait. Les cas les plus graves se retrouvent cependant chez les éleveurs laitiers, suivis du secteur de la culture puis des élevages non spécialisés. Les hommes sont davantage atteints au niveau du rachis lombaire et les femmes du côté du canal carpien (voir graphique page 46).
NE PAS ENDURER LES SOUFFRANCES
Mais la réalité du terrain est sous-estimée par ces seuls chiffres des maladies professionnelles. « Souvent, les salariés n'osent pas déclarer leurs souffrances par peur de perdre leur travail, souligne Patrice Heurtaut. Les agriculteurs attendent d'avoir atteint une douleur peu supportable pour consulter. Une étude qualitative publiée en mars 2015 (3) par l'Institut national de veille sanitaire touche cette réalité. »
Un questionnaire a été adressé à la population agricole de cinq départements, qu'ils aient ou non enclenché une démarche de reconnaissance de maladie professionnelle. Les résultats sont alarmants : plus de la moitié des 1 500 personnes qui ont répondu disent avoir souffert de TMS au cours des douze mois écoulés, soit 56 % d'hommes et 67 % de femmes. Un tiers d'entre eux avouent avoir enduré ces gênes ou souffrances pendant plus de trente jours. Les hommes citent en priorité les épaules et les femmes se plaignent avant tout de douleurs aux poignets. Il y a peu d'écart entre agriculteurs et salariés agricoles. Enfin, 10 % des hommes et 20 % des femmes signalent des douleurs permanentes.
PRÉVENIR, PLUS SÛR QUE GUÉRIR
Des solutions de prévention peuvent être mises en place pour réduire le risque de TMS et améliorer la qualité de vie au travail. La MSA a fait de ces troubles l'un des points majeurs de son plan santé de cinq ans, qui s'achève cette année. Selon les départements et régions, les MSA agissent sur des secteurs différents. Parmi les expériences originales, signalons la MSA Ain-Rhône qui a mis en place un agenda pédagogique annuel avec conseils pratiques, exercices physiques et vidéo de démonstration pour les paysagistes (4). Les MSA du Sud et du Centre concernées par l'élevage ovin ont formé leurs préventeurs qui ensuite ont trouvé sur le terrain des formateurs relais, agriculteurs (lire page 45).
D'autres formations sont proposées pour ménager son dos, en particulier dans les départements laitiers (lire l'encadré page 44), éviter les vibrations... Cela semble naturel mais descendre d'un tracteur, cela s'apprend aussi pour éviter les sauts qui vrillent le dos. Tout comme s'échauffer et s'étirer avant ou après un chantier. Des solutions pas toujours onéreuses existent pour ménager le corps : créer des passages afin d'éviter de sauter par-dessus les barrières, installer des postes de commande à hauteur raisonnable, revoir la hauteur du quai de traite. De temps en temps, il faut se poser et se demander (à plusieurs si on est associé) si on peut faire différemment, diminuer la fréquence de la tâche, compter davantage ses pas, ses allers-retours. Les jeunes qui, trop souvent présument de leur force, sont aussi concernés : les sollicitations multiples qu'ils s'infligent finiront par s'additionner.
Enfin, des aides financières simplifiées agricoles (AFSA) permettent aux entreprises d'améliorer les conditions de travail de leurs salariés. Ces dernières doivent avoir un projet de prévention visant à réduire entre autres les TMS. Ce dispositif peut, sous conditions, apporter l'appui d'un conseiller MSA et un soutien financier de 50 % maximum de l'investissement, plafonné à 3 000 euros. Des aides ont déjà été attribuées pour une sécurisation du travail sur toiture, l'équipement d'un tracteur d'une caméra de recul ou encore l'installation des passages d'homme dans un parc de contention. Les TMS peuvent devenir irréversibles et entraîner un handicap durable. Mieux vaut prévenir car il est parfois difficile de les guérir.
(1) Tableau des maladies professionnelles dans le régime agricole : 29, 39, 53, 57 et 57 bis.(2) Observatoire des troubles musculo-squelettiques des actifs agricoles. Bilan national 2008-2012.(3) INVS : prévalence des symptômes musculo-squelettiques du membre supérieur chez les travailleurs de l'agriculture. Coset-MSA. Mars 2015.(4) http://www.msa01-69.fr/lfr/461