Le 8 juillet dernier, les sénateurs ont adopté en première lecture un texte renforçant le certificat d'obtention végétale (COV), pierre angulaire de la sélection variétale en Europe, notamment en France. Cette proposition de loi reprend un texte voté par le Sénat en 2006, devenu caduc car non débattu ensuite au palais Bourbon. Le Gnis (Groupement national interprofessionnel des semences et plants) souhaite que cette proposition soit adoptée au plus vite par l'Assemblée nationale, estimant qu'elle « sécurise le financement de la recherche variétale » et trouve « un juste équilibre entre le droit des sélectionneurs à une rémunération et celui des agriculteurs-multiplicateurs de semences de ferme ». Même impatience à l'AGPB (Association générale des producteurs de blé). Le texte est « un rempart contre la brevetabilité du vivant. Il importe que des créateurs d'inventions biotechnologiques ne puissent s'approprier des variétés protégées par des COV au prétexte qu'ils y introduiraient des gènes brevetés. Puissant en sélection conventionnelle, mais beaucoup moins en biotechnologies végétales, notre pays y a tout intérêt ».
La Confédération paysanne estime, au contraire, qu'il s'agit « d'un holdup de l'industrie sur les semences, et que les droits des agriculteurs sont bafoués ». « Nous faisons des COV un système pire que le brevet, regrette de son côté Michel Géray, porte-parole de la CNDSF (Coordination nationale pour la défense des semences fermières). Les variétés sont protégées vingt-cinq ans, alors que la durée de vie d'une variété est aujourd'hui de cinq à six ans. »
BREVETABILITÉ DU VIVANT
Concrètement, le texte voté par les sénateurs comprend deux parties.
Il s'agit dans un premier temps de transposer enfin en droit français la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales, appelée « convention Upov », qui date de 1991 dans sa dernière version. Elle a déjà été ratifiée en 2006 par la France, mais les textes d'application font toujours défaut. Les semenciers français défendent cette convention Upov, qui compte soixante-neuf membres de par le monde. Au niveau international, deux systèmes de protection des variétés existent : le COV, présent dans de nombreux pays dans le cadre de l'« Upov », et le brevet, autorisé aux Etats-Unis, en Australie, au Japon et en Nouvelle-Zélande, où il cohabite avec le COV (lire l'infographie).
Le COV fournit à tout sélectionneur un accès libre aux variétés protégées comme source de variabilité génétique pour en créer de nouvelles : c'est ce qu'on appelle « l'exception du sélectionneur ». Selon le Gnis, ce certificat « favorise l'innovation ». « La différence entre les deux systèmes de protection crée une distorsion de concurrence entre les "pays à brevet", qui peuvent puiser librement dans les ressources génétiques des "pays Upov", et ces derniers, qui ne peuvent accéder aux variétés brevetées », souligne aussi le syndicat professionnel. Or, avec le développement des OGM, le brevet domine largement aux États-Unis dans le secteur des grandes cultures.
SEMENCES DE FERME LÉGALISÉES
Plus polémique, la proposition de loi vise aussi à donner un statut légal aux semences de ferme, pour certaines espèces qui seront définies par décret mais dont la liste devrait être calquée sur celle définie dans le règlement communautaire de 1994 sur la protection des obtentions végétales (1). Le texte généralise en parallèle le principe d'une indemnité versée à l'obtenteur, comme celle qui existe déjà sur le blé tendre, dans le cadre de l'accord interprofessionnel de 2001 signé entre les obtenteurs et les agriculteurs. Ces derniers s'acquittent d'une CVO (cotisation volontaire obligatoire), d'un montant de 0,5 euro par tonne de blé collectée. Le texte adopté au Sénat apporte donc une évolution de taille, puisque celui qui reste en vigueur en France est celui de la convention Upov de 1978, interdisant l'utilisation des semences de ferme.
Les agriculteurs qui implantent des semences fermières d'autres céréales à paille, d'oléagineux et de plants de pomme de terre seraient donc à terme obligés de s'acquitter d'une indemnité auprès des semenciers et de respecter les règles de traçabilité des produits, sous peine de constituer une contrefaçon. La CNDSF craint ainsi que cela « apporte finalement plus de contraintes à ceux qui veulent ressemer leurs propres semences ». Mais le Gnis rappelle qu'un « hectare semé avec des semences certifiées finance la recherche à hauteur de 10 euros en moyenne, via les royalties, alors qu'un hectare semé avec des semences de ferme, pour un rendement moyen à 70 q/ha, apporte 3,5 euros via la CVO. Soit trois fois moins ».
Pour le paiement de l'indemnité, « trois solutions peuvent être envisagées », explique François Burgaud, directeur des relations extérieures du Gnis. La première consisterait en la conclusion d'un accord direct entre un agriculteur et l'obtenteur sur un tarif d'utilisation des semences de ferme. La deuxième pourrait prendre la forme d'un accord collectif entre un groupe d'agriculteurs (Cuma…) et les obtenteurs représentés par la Sicasov. La troisième pourrait être calquée sur l'accord blé tendre, ce que semble souhaiter l'AGPB par exemple. « Mais le schéma qui existe pour le blé tendre risque d'être difficile à appliquer pour l'orge d'hiver, car beaucoup de récoltes issues de semences certifiées partent en autoconsommation pour l'élevage. La CVO prélevée sur la quantité effectivement livrée ne fournirait pas assez de recette », souligne le syndicat des producteurs. Il faudrait donc imaginer un autre mécanisme. Même chose pour la pomme de terre, pour laquelle il n'existe pas de système de collecte agréé comme en céréales.
REVALORISER LA CVO BLÉ TENDRE ?
Les obtenteurs réclament donc plus de moyens pour leurs recherches. « La rénovation du cadre juridique, pour la propriété intellectuelle, et financier, pour l'obtention végétale, est indispensable, martelait François Desprez, président de l'UFS (Union française des semenciers) le 13 janvier dernier lors d'une table ronde. Les budgets sont stables mais, aujourd'hui, ils sont en décalage avec les enjeux et les nouveaux outils de sélection. » Il a demandé la revalorisation de la CVO blé tendre de 0,5 à 0,7 euro par tonne collectée. En 2009-2010, celle-ci a représenté 8,3 millions d'euros et les droits de licence, près de 25 millions d'euros.
L'AGPB reconnaît que « le progrès génétique est important pour augmenter la productivité et la qualité des variétés, mais aussi pour les adapter aux spécificités régionales ». « Nous pouvons comprendre qu'une rémunération du travail de l'obtenteur soit justifiée, mais il faut se poser la question de la finalité de la recherche, insiste de son côté Michel Géray, de la CNDSF. Pour le blé et le colza, ce sont plus de vingt variétés nouvelles qui sont mises sur le marché. Mais la création variétale s'oriente de plus en plus vers du "marketing" différencié selon les réseaux de distribution. » La CNDSF demande donc que tout le système soit remis à plat et que toutes les organisations professionnelles participent au débat.
(1) Espèces autorisées par le règlement européen 2100/94 : blé tendre, blé dur, avoine, orge, riz, alpiste des Canaries, seigle, triticale, épeautre, pomme de terre, colza, navette, lin oléagineux, pois chiche, lupin jaune, luzerne, pois fourrager, trèfle d'Alexandrie, trèfle de Perse, féverole, vesce commune. Hors variétés hydrides et variétés synthétiques.