Longtemps, la politique foncière agricole s'est développée quasi indépendamment de la politique foncière rurale et urbaine. Il s'agissait de savoir comment gérer socialement l'usage de la terre « outil de travail » (1). C'est ainsi que sont nés les statuts du fermage et du métayage, le contrôle des structures et les Safer. Aujourd'hui se pose la question cruciale des différentes utilisations du sol : l'urbanisation, la préservation de la biodiversité et de la ressource en eau, la production d'énergies renouvelables...Les nouveaux enjeux de l'agriculture et ce phénomène de concurrence conduisent à s'interroger sur les outils mis en oeuvre pour assurer l'administration des sols : sont-ils toujours adaptés ? Sont-ils mal utilisés ? Faut-il en créer de nouveaux ?
Lutter contre l'artificialisation des terres
« Réduire de moitié, d'ici à 2020, le rythme national d'artificialisation des terres agricoles. » Tel est l'objectif affiché dans l'exposé des motifs de la loi de modernisation de l'agriculture du 27 juillet 2010. Comment y parvenir ? Depuis les grandes lois de décentralisation de 1983 et d'aménagement de 1985, les communes « ont poursuivi un mode de développement très consommateur de sols agricoles », souligne Carole Robert, des chambres d'agriculture France (2). Pour l'instant, malgré la volonté de lutter contre le gaspillage des terres inscrites dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) de 2000, les outils destinés à protéger les terres agricoles sont « inopérants » que le zonage soit urbain (POS, PLU, Scot) (3) ou agricole (Zap, PAEN) (4).
Observatoire national et commission départementale. « Les lois Grenelle I et II ont cherché à conforter le processus engagé par la loi SRU », poursuit Carole Robert, en particulier en renforçant les schémas de cohérence territoriale (Scot). Pour mesurer si les discours des élus sont en phase avec leurs décisions, la loi de modernisation de l'agriculture du 27 juillet 2010 a créé un observatoire national de la consommation des espaces agricoles. Elle prévoit aussi la mise en place d'une commission départementale de la consommation des espaces agricoles. Présidée par le préfet et composée d'élus des collectivités locales, d'agriculteurs, de propriétaires et d'environnementalistes, elle donnera des avis sur les constructions dans les communes sans document d'urbanisme, sur les révisions de PLU, des cartes communales et de Scot. Beaucoup regrettent que cette commission ait un rôle consultatif et non décisionnel. « C'est la mode des observatoires. C'est un outil de plus, mais sans moyen ! » ironise Bernard Lannes, président de la Coordination rurale, en comparant cet observatoire avec celui des prix et des marges. Michel Raison, député UMP de la Haute-Saône et rapporteur de la loi, estime que « c'est un début de processus pour aller plus loin ».
Chartes foncières. Les commissions départementales pourront s'appuyer sur les chartes foncières. Il s'agit là encore d'un instrument non prescriptif, une réflexion commune entre élus locaux, agriculteurs et Etat afin que soient pris en compte les besoins agricoles dans les documents d'urbanisme. « La moitié des départements sont dotés d'une charte et beaucoup d'autres y réfléchissent », précise Carole Robert. « Ces chartes sont de nature à créer une autre ambiance sur le terrain. Collectivités, urbanistes, architectes doivent évoluer. Il faut réussir à diviser la consommation de foncier par deux tout en maintenant un développement identique », estime Dominique Barrau, secrétaire général de la FNSEA. « L'existence de ces documents ne rend pas les décideurs plus vertueux », tranche André Barbaroux, directeur de la FNSafer. Il préconise la mise en place d'un zonage pérenne des terres agricoles, opposable aux documents d'urbanisme. Autre piste de réflexion menée par le Parti socialiste : créer ou recréer des ceintures vertes autour des villes. « Il faut donner les moyens aux collectivités de s'impliquer dans la relocalisation de l'agriculture. Par exemple en leur attribuant un droit de préemption pour créer des zones d'activité agricole, indique Germinal Peiro, député PS de Dordogne. Il faut maîtriser l'étalement urbain, densifier les villes et freiner le développement du modèle pavillonnaire. »
Taxation des plus-values. Autre nouveauté de la loi de modernisation de l'agriculture de 2010 : la taxation des plus-values réalisées sur les ventes de terres devenues constructibles (5 % pour un prix de vente dix à trente fois supérieur au prix d'achat, 10 % au-delà). Le produit de cette taxe doit aller à des « projets d'installation innovants » selon les Jeunes agriculteurs (JA). Des négociations sont en cours. Une taxation « insuffisante » aux yeux du Parti socialiste qui demandait 20 %. « Un scandale » pour la Coordination rurale, car « elle alimentera le syndicat Jeunes agriculteurs ».
Faire évoluer la politique des structures
Contrôle des structures. Surveiller les mouvements des terres libérées. Tel est l'objet du contrôle des structures. Les avis sur l'avenir de cet outil sont tranchés : d'un côté ses partisans qui souhaitent son renforcement et, de l'autre, ceux qui réclament purement et simplement sa suppression. La réforme du contrôle des structures n'a pas été à l'ordre du jour de la dernière loi de modernisation de l'agriculture en 2010. « Nous ne sommes pas allés sur ce terrain difficile », admet le rapporteur de la loi, Michel Raison. Le parlementaire juge le contrôle des structures « trop rigide, sans permettre de faire mieux que les pays voisins ». Mais visiblement, le sujet était trop sensible pour être débattu (« les organisations professionnelles agricoles n'étaient pas favorables à ce qu'on l'assouplisse »). « L'installation pour l'installation n'est pas une bonne pratique », martèle le député, ajoutant que ce serait « une folie de revenir en arrière », en particulier en matière de sociétés. La Société des agriculteurs de France (Saf) ou encore la Fédération nationale de la propriété privée rurale (FNPPR) demandent sa suppression. « Le contrôle des structures va à l'encontre du principe de réalité économique qui, pour une exploitation agricole, passe aussi par un agrandissement structurel », affirme la Saf (5). Bruno Ronssin, directeur de la FNPPR, conteste l'impartialité de la commission structures des CDOA (« un outil pour faire vivre les petits chefs locaux »). Dans leur ensemble, les syndicats souhaitent le maintien, voire le renforcement du contrôle des structures. Arnaud Tachon, trésorier des JA, considère que « tout transfert de foncier doit se faire sous le regard du contrôle des structures ». JA demande de revenir sur les assouplissements de 2006 sur les sociétés « pour que ceux qui ont les moyens de mettre en place des montages sociétaires n'y échappent pas ». Echo favorable du côté du député socialiste Germinal Peiro qui milite aussi pour un renforcement. « Il y a des candidats pour le métier d'agriculteur, mais ils n'ont pas de quoi s'installer. Tout part à l'agrandissement », déplore-t-il. La Confédération paysanne veut en outre que soient réintégrées les opérations familiales qui ne font plus l'objet que d'une déclaration préalable depuis 2006.
Safer. Globalement, les Safer sont moins contestées que le contrôle des structures. A défaut d'obtenir leur suppression, la FNPPR demande de faire « sauter leur droit de réviser les prix ». A l'opposé, regrettant que « les Safer n'aient pas les moyens de mener leur mission de service public », JA propose qu'elles perçoivent une taxe comme les établissements publics fonciers (EPF) agissant en ville. « Le législateur doit aussi clarifier les missions des EPF et des Safer afin qu'ils puissent cohabiter et travailler ensemble », précise Arnaud Tachon. Une taxe orientée vers le foncier agricole et forestier permettrait de « développer une politique de portage en faveur des jeunes agriculteurs et de réduire les frais », estime André Thévenot, président de la FNSafer. Militant pour plus de transparence, la Confédération paysanne et la Coordination rurale demandent à être informées des déclarations d'intention de vendre, afin que « l'affaire ne soit pas faite au niveau local avant d'arriver devant le comité technique ».
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(1) « La politique foncière agricole en France », Pierre Coulomb.
(2) Revue « Chambres d'agriculture », mars 2011, n°1 001.
(3) Plan d'occupation des sols, plan local d'urbanisme, schéma de cohérence territoriale.
(4) Zone agricole protégée, périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains.
(5) 160 recommandations 2009 - Saf-Agriculteurs de France.