Producteurs et transformateurs de la filière laitière ont jusqu'au 1er avril 2011 pour mettre en oeuvre la contractualisation ! Bruno Le Maire les a avertis au Space, le 14 septembre 2010.

« Nous avons laissé à l'interprofession le soin de négocier [ces contrats] et je souhaite qu'elle aboutisse. Mais l'Etat prendra toutes ses responsabilités si un accord interprofessionnel n'est pas possible. Le dispositif doit être prêt avant la fin de l'année pour [être] mis en oeuvre au début de la prochaine campagne laitière. »

Ce sujet, les trois familles de l'interprofession y ont déjà travaillé, mais le consensus est encore loin. Des désaccords persistent, en particulier sur deux points fondamentaux : le prix et le volume.

Ainsi, le système de double volume double prix porté par la Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL) n'est pas du goût des industriels privés (Fnil).

Quant à la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), elle y met des conditions de transparence sur le devenir du lait qui seront sans doute difficiles à faire passer.

Ces divergences n'ont pas empêché certains de passer à la phase pratique.

Sodiaal a tiré le premier en proposant à ses adhérents de lui indiquer, au début de chaque trimestre, leur production du trimestre suivant (voir « La France Agricole » du 16 avril 2010, page 60).

Soucieux de préparer l'après-quota, Terrena teste aussi un système prévisionnel des livraisons (lire le témoignage).

Ces deux essais sont dans la logique avancée par la FNCL de volumes et de prix différenciés.

Du côté des privés, Danone (voir l'encadré) a présenté un modèle de contrat contre lequel la FNPL l'a mis en garde.

Regrouper l'offre

La Normandie devait être le cadre d'un essai mené par les pouvoirs publics avec des éleveurs et des transformateurs volontaires.

« Malheureusement, le projet est tombé à l'eau, regrette Pascal Ferey, vice-président de la FNSEA. Les industriels ont quitté le groupe de travail cet été, lors de la crise sur le prix du lait. Et ils ne souhaitent pas y revenir. Les entreprises font la course contre la montre. Si les producteurs ne se rassemblent pas, ce sont les transformateurs qui délivreront les droits à produire en 2015. »

Pour éviter cela, la FNPL propose sa solution : les organisations collectives et économiques des producteurs (Ocep). L'enjeu est de se structurer face aux transformateurs privés d'ici à la fin de la campagne laitière.

« Lorsqu'il existe déjà des groupements de producteurs, il faut les restructurer, les massifier par entreprise, puis les organiser au niveau régional par grands bassins de collecte, insiste Patrick Ramet, le trésorier de la FNPL. S'ils n'existent pas, il faut les créer. »

Les producteurs réussiront-ils à se structurer d'ici à la fin de la campagne ? Le pari est difficile. Il faudra surmonter les éventuelles concurrences entre groupements existants, et surtout rétablir un dialogue syndical aujourd'hui très dégradé. Car rien ne dit que si le ministre reprend la main sur ce dossier, la balance penchera en faveur des producteurs.

 

Les clauses

Le contrat doit contenir...  des clauses sur le prix, le volume et la durée, ainsi que les conditions de rupture et la responsabilité de la collecte.

Il ne doit pas contenir...  des clauses qui entravent le droit d'organisation des producteurs, le droit à donner mandat ou à l'action syndicale. Sera proscrite la subordination d'un contrat à un autre, par exemple sous réserve de l'approvisionnement en produits lessiviels, en aliments...

Enfin, toute mesure aboutissant à une intégration devra être refusée.

 

 

 

Danone se lance

Dans un courrier du 29 juillet 2010, l'industriel a présenté aux éleveurs de quatre de ses six zones de collecte sa proposition « sur la mise en place d'un mécanisme de prix-volumes » sur la période de juillet 2010 à mars 2011. Mais cet « accord » qui « seul fait foi d'un point de vue commercial », selon Danone, comporte plusieurs points litigieux.

Par exemple, le transformateur n'explicite pas son calcul des deux volumes qu'il attribue à chaque producteur. L'étanchéité entre ces volumes pose question, mais Danone répond qu'il est prêt à être audité sur ce point. Le contrat comporte aussi une clause de « recalage » en fin d'année, qui consiste à appliquer un « tunnel » de 5 €/1 000 l entre le prix de base de Danone et celui de la région.

« Interdit », estime un juriste. Enfin, des coûts de transport de 16 €/1 000 l pourraient se voir déduits pour le lait au-delà des allocations provisoires payées au tarif beurre-poudre. Ne possédant pas d'usine de traitement des excédents, l'industriel estime « logique de tenir compte des coûts de logistique ».  

 

 

 

Témoin : FABRICE BARANGER, du Gaec La voie lactée à La Jumellière (Maine-et-Loire)

« Nous testons un système de volumes et de prix différenciés depuis le début de la campagne »

« Lorsque nous avons réfléchi à la sortie des quotas au sein de la commission lait de Terrena, nous avions un objectif : ne pas revivre la même situation qu'à leur mise en place en 1984. Et éviter une crise dont l'ampleur pourrait dépasser celle que nous venons de traverser. » Aucune solution miracle ne pointe son nez, mais la contractualisation ressort des débats. Avec la volonté d'évoluer vers un dispositif avec deux volumes payés à des prix différenciés. « Nous avons cinq ans pour mettre cette option à l'épreuve du terrain, l'adapter et l'expliquer ! Chaque membre de la commission participe au test et a parrainé un de ses voisins. Cela représente soixante-dix exploitations. »

Le test a débuté en avril 2010. « Sur le plan comptable, rien ne change. Nous sommes toujours dans le régime des quotas avec la feuille de paie habituelle. A côté, nous recevons une simulation avec des volumes A et B payés à des prix différents. » Le premier correspond à 95 % de la référence du Gaec. C'est-à-dire son quota avant l'augmentation progressive des références décidée par Bruxelles qui s'ajoute aux allocations de fin de campagne pour former le volume B. Le volume A sera réactualisé en cas de reprise foncière avec du lait, d'arrivée d'un jeune qui apporte une référence laitière, etc.

Fabrice, son frère Guillaume et Christophe Gaudin, leur associé, ont dû se frotter au difficile art des prévisions. Celui de la production de leurs 70 prim'holsteins. « Nous avons annoncé à la laiterie les volumes A et B que nous allions livrer mois par mois sur la campagne. Puis, tous les trois mois, nous réajustons les prévisions pour les six mois à venir. » La coopérative a ainsi une idée des volumes à transformer. Mais elle ne passe aucune consigne à ses adhérents pour les inciter à modifier leur calendrier de livraison.

« Certains ne géreront pas la fin de campagne comme d'habitude. Ceux qui sont en avance sur leurs livraisons pourront vendre des vaches dès la fin d'année plutôt que jeter du lait ou réformer. Le manque de fourrage lié à la sécheresse, les accidents sanitaires ou encore l'évolution du taux de matière grasse viennent compliquer l'exercice. Dans une exploitation en rythme de croisière, les prévisions peuvent être calquées sur les livraisons mensuelles des années précédentes. Nous, nous devons intégrer les 200 000 l de quota apportés par Christophe lorsqu'il nous a rejoints en janvier. »

« Le volume A est payé au prix interprofessionnel, et le B à la valorisation beurre-poudre. Cette séparation nous apporte de la visibilité. Le prix du volume A devrait être stable et nous éviter les à-coups de ces dernières années. C'est sur ce volume que nous allons asseoir notre coût de production. » Globalement, au Gaec, les deux systèmes de paiement se valent. En juin et juillet, le prix du B a dépassé celui du A avec la flambée des cours du beurre. Puis la prime de saisonnalité et les résultats de la négociation interprofessionnelle ont inversé la tendance.

Dans quel cas le Gaec produira-t-il du volume B ? « Avant l'augmentation de notre quota, nous aurions cherché à saturer notre outil. Mais nous venons d'allonger la stabulation. Notre décision dépendra avant tout de la conjoncture et de notre coût de production. La crise laitière nous a incités à mettre le nez dans nos chiffres, comme les producteurs de porcs le font depuis longtemps. Nous devons avoir une approche la plus fine possible de notre coût de production et identifier les leviers pour l'améliorer. Le volume B peut nous servir à diluer nos charges de structure en profitant du printemps, quand il y a de l'herbe, pour pousser les vaches. C'est un volume à produire à un coût marginal. Son prix de vente doit couvrir les charges alimentaires qu'il génère. Nous avons de la souplesse au niveau bâtiment, mais il n'est pas question d'investir pour spéculer sur du volume B. Il faut aussi avoir la ressource fourragère et les vaches nécessaires pour produire au-delà du volume A. »