Vous avez acheté une petite propriété d'agrément. Dans votre acte d'acquisition, vous n'avez pas assez regardé le contenu : selon un acte publié à la Conservation des hypothèques, il est indiqué que, en tant que propriétaire de la parcelle 522 que vous venez d'acquérir, vous devez une servitude de passage à la parcelle 521. Et cette servitude s'exerce devant votre maison, à l'endroit même où vous allez construire une piscine. On vous a alerté. Votre première réaction est de dire : « Les propriétaires de la parcelle 521 ne passent jamais sur mon terrain. Leur accès se fait directement sur une voie nouvellement créée. Alors cette servitude ne sert plus, elle s'est éteinte et j'en demande la suppression.»

Servitude de passage

C'est exactement sur ce schéma que va naître un procès entre Alain et Philippe. A l'origine, ils avaient un auteur commun, propriétaire aussi bien de la maison aujourd'hui possédée par Alain que des terres agricoles la jouxtant. Lorsqu'on avait procédé au partage, Paul, le fils aîné, avait reçu la maison et Joseph les terres. L'acte de partage disait que, pour faciliter l'exploitation agricole, Paul consentait à son frère une servitude de passage devant la maison, pour accéder aux terres échues à Joseph.

Depuis, les deux frères ont vendu leurs parts à des étrangers de la famille. L'ayant droit de Joseph continue à exploiter les terres. Ayant un accès direct, il n'utilise presque jamais le droit de passage, sur le devant de la maison ayant appartenu à Paul et maintenant à Alain. Il a consulté son notaire et l'acte a été revu : la servitude existe, mais Philippe, ayant cause de Joseph, ne s'en sert plus. Il refuse cependant d'y renoncer.

C'est de là que va naître la procédure, mais laquelle engager ? Gêné par la présence de ce droit de passage devant sa résidence, Alain pourrait proposer, sans la supprimer, d'en déplacer l'assiette sur une autre partie de son terrain (article 701 du code civil). Mais il préférerait la voir disparaître puis- qu'elle ne sert plus. Tout au moins, il le croyait.

Erreur de droit

On a donc fait appel à l'article 703 du code civil : les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en un état tel qu'on ne peut plus en user. Les magistrats de la cour d'appel ont retenu cet article. Dans les faits qui leur ont été présentés, ils ont relevé que la servitude avait été instituée pour permettre la bonne exploitation de la ferme. Mais le bétail et les machines ne se servaient plus du passage litigieux pour accéder aux champs. Et Philippe avait plusieurs accès par ailleurs. Ils ont décidé que, du fait de son inutilité, la servitude était éteinte.

« Erreur de droit », relè- vera la cour suprême en cassant l'arrêt de la cour d'appel. Pour que l'article 703 du code civil puisse trouver application, il aurait fallu prouver que Philippe était dans l'im- possibilité d'uti- liser la servitude, et non pas qu'elle était simplement inutile. Cela aurait été le cas si, par exemple, un canal d'arrosage implanté par une as- sociation syndicale avait rendu impossible l'utili- sation du passage.

Pour éviter d'éventuelles allées et venues devant sa maison, Alain aurait mieux fait de demander le dépla- cement du droit de passage sur une autre partie de ses terres. Mieux, s'il avait pu prouver que, depuis plus de trente ans, Philippe ou ses auteurs n'utilisaient plus la servitude, il aurait pu faire valoir l'extinction en ap- plication de l'article 706 du code civil.

Si l'on pense que la bonté n'est pas une caractéristique des rapports humains, il est à redouter que Philippe, conforté par son droit, mette un malin plaisir à utiliser dorénavant la servitude avec tracteur et autres engins.