1 - Quelles sont les perspectives du métier d'agriculteur?

L'agriculteur est d'abord pour moi celui qui a la charge de produire notre alimentation, d'assurer notre indépendance alimentaire en quantité et en qualité tout en respectant l'environnement. C'est pourquoi il nous faut veiller à maintenir des exploitations agricoles économiquement viables et assurer le renouvellement des générations par des aides à l'installation.

Il est aussi nécessaire de développer les énergies vertes qui créent de vraies opportunités pour les agriculteurs. Les attentes de la société sont donc, à l'égard du beau métier d'agriculteur, importantes parce qu'il touche à de nombreux aspects de notre vie. Mais c'est une activité plus complexe qu'autrefois et il faut aider les agriculteurs, notamment à travers des contrats d'objectifs préparés avec eux, à faire face aux nouvelles contraintes et à fournir de nouveaux services.

2 - OMC: L'Europe doit-elle encore faire des concessions pour parvenir à un accord? Comptez-vous vous opposer à un accord qui léserait les intérêts agricoles français et comment?

Il ne faut pas chercher un accord à tout prix, sinon nous nous engagerions dans un processus de concessions permanentes qui finiraient par détruire l'identité économique européenne. Les Etats-Unis n'ont pas les mêmes scrupules que la Commission européenne, les concessions qu'ils envisagent laissent presque intact leur système de protection. A l'inverse, pour tenter d'organiser l'agriculture au niveau mondial, il faudrait faire adopter l'idée que les pays pauvres –qui diffèrent des pays dits «émergents» comme le Brésil, la Chine ou l'Inde– ont le droit pour développer leur agriculture et leur industrie de remettre ou de conserver des protections aux frontières. Un examen serait fait périodiquement dans une enceinte internationale à définir (peut-être la FAO, Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) pour limiter le niveau et la durée de ces protections. Ainsi, les populations rurales seraient moins incitées à quitter leur village pour aller vers les banlieues des villes et de là vers les pays les plus développés.

3 - Faut-il encore une Pac après 2013? Certains trouvent que le budget de la Pac devrait être redéployé vers la recherche et l'éducation, êtes-vous de ceux-là?

Même s'il convient de réformer la Pac pour mieux l'équilibrer entre les productions et la sauvegarde de l'environnement, entre les Etats membres de l'Union et entre les régions, une organisation de l'agriculture européenne devra être maintenue pour garantir notre indépendance alimentaire et l'aménagement des territoires ruraux. Il faudra donc toujours une Pac après 2013 avec des moyens suffisants. Les pays qui veulent supprimer la Pac souhaitent, en réalité, l'affaiblissement de toutes les politiques européennes. Ce n'est pas mon choix.

4 - En 2008, l'examen à mi-parcours de la Pac doit-il se cantonner à un bilan de santé, évoluer vers une redistribution des aides ou se transformer en une réforme encore plus profonde?

Le bilan de santé qui est prévu pour 2008-2009 est destiné, dans l'esprit de la Commission européenne, à vérifier avant 2013 si la réforme de 2003 a permis de mieux insérer l'agriculture dans l'économie de marché. Soyons clairs, sans le dire, c'est de libéralisation et d'économies budgétaires qu'il s'agit et beaucoup de nos partenaires l'entendent ainsi. Il appartiendra au gouvernement français de convaincre du bien-fondé de l'existence de la Pac tout en agissant pour une réforme profonde de ses modalités permettant une redistribution des aides.

5 - Faut-il développer les biocarburants industriels?

La France a besoin de développer les sources d'énergies renouvelables et les biocarburants en sont une composante importante, mais pas la seule. Je suis en accord avec l'objectif quantitatif fixé par l'Union européenne. Mais n'oublions pas l'utilisation de la biomasse, qui ouvre de vraies perspectives, pour laquelle il sera nécessaire d'accélérer les travaux des chercheurs.

6 - Etes-vous favorable au développement des bioénergies en circuit court? Dans les faits et au-delà des discours, on observe depuis de nombreuses années que beaucoup de «bâtons ont été mis dans les roues» de ces microfilières de proximité (tracasseries administratives, paperasserie et fiscalité dissuasives, tarif de rachat de l'électricité insuffisant). Vous engagez-vous à ce que le double langage cesse?

(*) biogaz, huile végétales pures, chaudières polycombustibles, etc.

Je suis favorable au développement des circuits courts en agriculture, ils permettent d'améliorer le revenu des agriculteurs et peuvent être avantageux pour les consommateurs. Je ne vois rien de choquant à ce qu'un agriculteur puisse utiliser une partie de sa production pour faire rouler son tracteur ou sa voiture ou pour vendre de l'électricité. Je m'efforcerai de faire disparaître les interdictions administratives qui peuvent exister lorsqu'elles ne sont pas justifiées par des questions de sécurité.

7 - Jusqu'où doit aller la prise en compte de l'environnement? Croyez-vous par exemple à une agriculture sans pesticides?

Nous constatons tous qu'il faut garantir notre approvisionnement en eau potable, qu'il faut entretenir la fertilité de nos sols, qu'il faut protéger notre santé contre les pesticides. Partant de là, il faut que nous nous donnions les moyens d'y parvenir.

Cela veut dire qu'il faut chercher à résorber les effluents d'élevage autrement, qu'il faut éviter d'utiliser des produits qui laissent des métaux lourds dans le sol, qu'il faut aller vers encore moins de pesticides, qu'il faut éviter de prélever abondamment de l'eau dans les nappes.

Beaucoup d'agriculteurs ont fait des efforts et je m'en réjouis, mais il y en a encore trop qui n'ont pas pris conscience de l'importance de ce problème et de la nécessité de laisser aux futures générations d'agriculteurs de bonnes conditions de production.

8 - L'agriculture est-elle d'abord faite pour produire?

Je crois vous avoir répondu au début de cet entretien. Il n'y a pas d'agriculture sans production d'aliments. Mais les missions des agriculteurs sont bien plus larges et l'ont toujours été. N'oubliez pas que tous nos paysages ont été façonnés par l'homme et donc, presque exclusivement, par les agriculteurs.

9 - La France doit-elle cultiver des OGM?

La question ne se pose pas en ces termes. Les Français craignent d'autant plus les OGM que les scientifiques ne sont pas d'accord entre eux sur leurs mérites ou leurs risques. Les consommateurs ne voient pas non plus l'avantage que ces produits peuvent leur apporter en termes de santé, de goût ou de facilité de préparation. En privilégiant l'amélioration de critères économiques ou de productivité, les créateurs d'OGM leur ont donné une image encore très liée aux productions intensives jugées polluantes.

Je ne souhaite pas autoriser les cultures d'OGM en plein champ tant qu'on n'aura pas remédié au risque de dissémination et je veux ouvrir un débat public sur les atouts et les risques des OGM.

10 - Que comptez-vous faire pour abaisser les charges pesant sur les exploitations agricoles?

J'ai proposé que pour les très petites entreprises (moins de dix salariés) l'Etat prenne en charge pendant un an le salaire des jeunes sortis sans diplôme du système scolaire qu'elles embaucheront. Dans mon esprit, cela s'appliquerait aux exploitations agricoles de moins de dix salariés.

11 - Etes-vous favorable à une TVA sociale en agriculture ?

La «TVA sociale» évoquée par des représentants de la majorité actuelle n'a de social que le nom. Il s'agit de baisser les cotisations sociales patronales et de compenser les pertes de recettes correspondantes par une augmentation de la TVA. Cela revient à proposer aux consommateurs de payer les impôts de leurs employeurs au prétexte de la préservation de leur propre emploi; ce serait socialement injuste!

Ce serait aussi économiquement dangereux, car cela réduirait le pouvoir d'achat des ménages, freinant dès lors la consommation, moteur essentiel de la croissance en France.

12 - Que comptez-vous faire pour maintenir les services publics en milieu rural et développer la couverture des campagnes par les moyens modernes de communication?

Il ne peut y avoir de territoires ruraux vivants sans des services publics de qualité. Par le pacte présidentiel que je propose aux Français, je me suis engagée fortement en faveur de services publics de qualité et accessibles à tous. Cette question est particulièrement vraie en zone rurale où l'offre de soins de santé, l'offre scolaire, l'accueil petite enfance et l'accompagnement des personnes âgées constituent des priorités absolues.

Le statu quo n'est pas souhaitable. L'amélioration du service peut passer par une mutualisation ou une réorganisation des offres actuelles. Mais cela doit s'accompagner de dialogues avec toutes les parties prenantes. Il faut passer d'une logique de conflit à une logique de concertation préalable avec les élus, les acteurs, et bien sûr les personnes qui habitent les communes concernées.

13 - Que proposez-vous pour enrayer le grignotage des terres agricoles?

Le tiers des exploitations agricoles est situé en zones périurbaines. Le maintien de l'activité agricole dans ces territoires est indispensable à la fois pour des raisons économiques et d'aménagement de l'espace. Sur le plan économique, il est hors de question de se priver du potentiel de production agricole de ces territoires. Des circuits à forte valeur ajoutée peuvent par ailleurs y être développés. S'agissant de l'aménagement, il est nécessaire de maîtriser l'étalement urbain et de protéger le cadre de vie des habitants. Pour atteindre ces deux objectifs, je crois beaucoup au dialogue entre tous les acteurs locaux, à la capacité à dégager un diagnostic partagé sur les territoires. Ce qui est partagé a plus de chances d'aboutir.

A cet égard, le document de gestion de l'espace agricole et forestier –DGEAF, créé par la loi d'orientation agricole– n'a pas été utilisé pendant les cinq dernières années. C'est dommage car il constitue un outil de connaissance des territoires, un outil de dialogue aussi, qui permet d'aboutir à une approche partagée de tous les acteurs sur le devenir de leur territoire. Son caractère non prescriptif favorise la recherche du consensus. Il peut ultérieurement servir de fondement à une démarche plus normative. Je suis pour ma part très favorable à ce type de démarche.

Au-delà des outils existants, je ne suis pas opposée à une évolution des documents d'urbanisme permettant une meilleure prise en compte de l'activité agricole en cohérence avec les objectifs volontaires en matière de logement.

14 - Faut-il revaloriser les retraites agricoles et si oui comment?

Dans le pacte présidentiel que j'ai proposé aux Français, je m'engage à revaloriser dès 2007 de 5% les pensions dont le niveau est inférieur au Smic, soit 985 euros, ce qui profitera plus que proportionnellement aux retraités agricoles. En effet, le montant moyen des retraites agricoles est nettement inférieur à celui des autres régimes.