Les boulbènes gersoises de Christian Abadie sont devenues un champ d’investigation pour les chercheurs, notamment ceux de l’Inra, qui coordonne le projet Bag’ages (1). Et pour cause. Ce pionnier de l’agriculture de conservation possède un sérieux… bagage en la matière. Dix-huit ans d’expérience, la majorité épanouie. En 2001, il bascule sans transition du labour au semis direct sur couverts végétaux, pour l’ensemble des cultures, et généralise la couverture du sol annuelle. Cette démarche radicale résulte d’un constat, celui de l’appauvrissement des sols en matière organique : « Lorsque je me suis installé en 1983, les sols étaient à 3 % de matière organique. En 2000, ce taux était tombé à 1,5 %. »
L’agriculteur identifie trois causes : le travail du sol, les sols nus entre les cultures et l’exportation des plantes entières (le maïs ensilage, en l’occurrence). Parallèlement, à chaque orage, les sols hydromorphes s’érodent, la terre est transportée vers les rivières… « Cette eau coûte cher à traiter, car il n’y a pas que la terre, mais également les nitrates et les pesticides », poursuit Christian. En outre, l’épandage du fumier de ses vaches laitières – depuis 2016, il n’a plus qu’un atelier d’engraissement – est insuffisant pour enrayer la perte inéluctable de matière organique, donc de carbone (- 600 kg/ha/an, selon les analyses de sol). « Dans le département, les sols sont nus, en moyenne, 150 jours par an. Or, pour séquestrer du carbone, il faut des plantes vivantes toute l’année » , souligne-t-il.
Depuis 2001, date de rupture dans l’itinéraire technique, l’agriculteur implante un premier couvert, dit estival, après le blé composé de tournesol géant (10 kg/ha), sorgho (6 kg/ha), radis chinois (2,4 kg/ha), sarrasin (10 kg/ha), amarante (0,2 kg/ha) et soja (30 kg/ha). « Toutes ces plantes sont gélives, sauf le radis », ajoute-t-il.
Le second, dit hivernal, se compose de féverole, 190 kg/ha, car « cette densité élevée est nécessaire pour enrichir le sol en azote », seigle (30 kg/ha), triticale (20 kg/ha) et avoine (20 kg/ha) avant le maïs ; ou de féverole (120 kg/ha), avoine (60 kg/ha) et seigle (60 kg/ha) avant le soja. Chacune de ces plantes possède un système racinaire différent. Cette complémentarité traduit « la puissance du génie végétal », comme l’a défini Lucien Séguy, du Cirad, qui a conseillé Christian Abadie.
« En soixante jours, le tournesol géant, en plus de produire une grande quantité de biomasse aérienne, est capable de parcourir 80 cm de profondeur et de rechercher ainsi rapidement de l’eau », ajoute l’agriculteur.Les résultats de cette technique sont probants, puisqu’en seize ans, 20 t/ha de carbone (C) sur 60 cm de profondeur ont été séquestrées, soit 1,25 t C/ha/an, ou 4,60 t de CO2/ha/an. « Cela représente, pour la ferme et sur toute cette durée, 7 400 t de CO2 séquestrées pour 2 000 t de carbone injectées dans les sols », souligne l’exploitant. On est loin des pertes énormes des années 1980 !
Des économies d’eau
« Le carbone dans le sol contribue à la résilience climatique, poursuit-il. Chaque point de matière organique permet d’augmenter considérablement les quantités d’eau stockées. Cela permet de réaliser des économies d’eau en conditions sèches et chaudes. Et en cas d’excès hydriques, l’érosion est stoppée [grâce à l’agrégation des argiles et de l’humus, les mottes résistent davantage à la dégradation, NDLR]. En maïs irrigué, le semis direct m’a permis une économie de 30 % d’eau. »
La matière organique assure aussi la réduction du ruissellement au profit d’une meilleure infiltration, grâce à l’amélioration de l’état structural du sol. La densité apparente est stable et élevée, alors qu’en labour, le sol se referme lorsqu’il pleut. Les autres avantages sont la diminution de l’évaporation et la formation d’une plus grande réserve utile.
Isabelle Lartigot
(1) Bassin Adour-Garonne : quelles performances des pratiques agroécologiques ?, conduit de 2016 à 2020.