«L’eau est vitale. On peut se passer de boire au maximum trois jours, mais pas plus. Il est donc important de préserver cette ressource naturelle », introduit Benoît Leprun, polyculteur-éleveur dans l’Yonne. L’EARL des Ormes se trouve au centre d’un bassin d’alimentation de captage. « Ce BAC fait partie des 500 sur 15 000 dans l’Hexagone classés Grenelle, c’est-à-dire sous surveillance accrue. »
Sa prise de conscience date de 2007, quand la commune a été épinglée pour le dépassement du seuil des nitrates (50 mg/l) dans le captage. « L’eau était impropre à la consommation, précise Benoît. L’Administration nous a imposé une conduite que l’on ne trouvait pas vertueuse et nous nous sommes opposés, préférant être force de proposition. »
La chambre d’agriculture de l’Yonne et l’Inra de Grignon (lire l’encadré) se sont rapprochés « pour aider les exploitants à co-construire des systèmes de culture innovants, afin d’améliorer la qualité des eaux, une initiative inédite », poursuit l’exploitant. Et Laurette Paravano, conseillère en agronomie de la chambre, de préciser : « En octobre-novembre 2012 – et chaque année depuis –, au moment où la réserve utile est saturée, l’Inra et la chambre se sont rendus chez les agriculteurs du BAC, afin de prélever un échantillon de terre par type de succession culturale, et l’ont analysé. Cela nous donne le reliquat entrée hiver (REH), c’est-à-dire la quantité d’azote du sol avant qu’il ne soit lessivé. Les enjeux sont les pertes d’azote pendant l’hiver. »
Viser les 60 uN
Les premiers résultats ont montré que les REH vont de 30 à 200 unités d’azote (uN), selon les années, les systèmes et les successions culturales. Les agriculteurs du BAC se sont fixé la barre des 60 uN dans le sol à ne pas dépasser en entrée d’hiver. « Cette limite peut être discutée. L’idée était de fédérer un maximum d’agriculteurs autour d’un objectif atteignable », précise Benoît. Pour arriver à ce résultat, nous n’avons pas touché à la fertilisation azotée, afin de ne pas impacter la rentabilité des exploitations. » D’autres pistes ont été creusées, car « si l’on n’avait rien fait, six camions d’engrais azotés partaient dans la nappe », souligne-t-il.
Le collectif d’agriculteurs a signé un contrat d’engagement avec la régie des eaux locale, la Régate, qui demande le respect de cinq mesures communes. « Il s’agit de laisser les repousses de colza jusqu’à ce qu’il soit carencé, c’est-à-dire quand il devient violet, et pas seulement un mois comme cela est déjà préconisé dans la réglementation, explique Benoît. Derrière une paille et avant une culture de printemps, le couvert doit être implanté tôt, avant le 15 août, ou avant le semis du colza. Il convient aussi d’augmenter les surfaces dédiées aux cultures de printemps, pour atteindre un cinquième, afin d’avoir davantage de Cipan et pour limiter les problèmes d’enherbement. » Il faut également transmettre à la Régate la carte du parcellaire des surfaces concernées par une mesure du contrat et participer aux actions d’accompagnement de l’Inra et de la chambre.
Résultats prometteurs
Aux mesures communes s’ajoutent des actions individuelles, comme « le compostage des effluents, afin de stabiliser l’azote qu’ils contiennent, puis leur épandage au plus près des besoins de la culture ». De plus, Benoît Leprun apporte son lisier soit sur les Cipan, soit sur le colza, soit sur la culture de printemps, et non sur le sol nu. « Avec les effluents d’élevage, on ne peut pas prévoir leur minéralisation et on ne connaît pas les arrière-effets, d’où l’intérêt des mesures de REH effectuées par l’Inra chaque année, poursuit-il. Nous fondons aussi beaucoup d’espoir sur la méthode de l’indice de nutrition azotée, INN. »
Grâce à l’accompagnement, cela fait deux ans que l’exploitant ne réalise plus de premier apport. Si pour l’EARL les résultats sont encourageants, ils le sont aussi à l’échelle du bassin. « Le REH moyen à l’automne 2017 sur l’ensemble du BAC est de 44 kg N/ha, soit sous la barre des 60 uN, se félicite Benoît. Cela devrait mobiliser encore davantage d’agriculteurs. »
Désormais, la maîtrise de l’azote dans les successions culturales des exploitations de Brienon et environs est chose acquise. Reste à se pencher sur les phytosanitaires, en particulier les « chlore » (métazachlore et dimétachlore) retrouvés dans la nappe. Les agriculteurs se sont fixé l’objectif de diviser leur consommation d’herbicides par deux et réfléchissent à d’autres leviers d’action.
Isabelle Lartigot