«Les variétés disponibles au catalogue ont toutes de très bonnes qualités, mais aussi des défauts. En associant les variétés, ces défauts peuvent être amoindris et compensés », explique Antoine Lambert, agriculteur à Fours-en-Vexin. Fort de ce constat, il cultive depuis quatre ans toute sa sole de blé en mélange. Les avantages sont multiples, à commencer par une meilleure résistance aux maladies, notamment la rouille jaune. En diluant les plantes sensibles dans le couvert, la maladie évolue beaucoup moins vite, et le champignon est freiné par les variétés résistantes. « J’ai commencé en 2012 par un mélange de quatre variétés, dont une sensible à la rouille mais qui avait un bon potentiel », détaille-t-il. Malheureusement, en raison de fortes attaques de rouille cette année-là, l’une des variétés inscrites comme résistantes est devenue sensible. « Je me suis retrouvé avec la moitié des variétés du mélange sensibles à la rouille. Cette expérience m’a fait prendre conscience que quatre variétés en mélange n’étaient pas suffisantes. » Petit à petit, il est monté à cinq, puis six variétés, pour arriver aujourd’hui à sept.
Une récolte homogène
La rusticité est le premier critère de choix pour Antoine Lambert, qui recherche en priorité la résistance aux maladies. Étant dans une démarche de réduction d’intrants, il s’est donné comme objectif de n’appliquer qu’une demi-dose de fongicide, au stade dernière feuille étalée, et aucun régulateur. L’offre en blés rustiques s’est par ailleurs étoffée ces dernières années. Son dernier mélange se compose ainsi des variétés Descartes, Granamax, Fructidor (inscrites en 2013), Grapeli (2012), Cellule, Rubisko (2011) et Barok (2009). Toutes sont peu sensibles, voire résistantes à la rouille jaune.
Chacune a des points forts qui vont compenser les défauts des autres : « Par exemple, Barok est une variété assez sensible à la verse, et je ne l’aurais pas gardée en culture pure », précise l’agriculteur. Certaines variétés à PS élevé vont compenser celles à PS moyen. Dans le cas d’Antoine Lambert, les variétés du mélange sont de précocités diverses. La maturité arrive au moment de la variété la plus tardive. « C’est un point sur lequel il faut être vigilant, mais qui ne me pose pas de problème sur mon exploitation », observe-t-il.
Antoine Lambert produit lui-même son mélange en semences fermières. Pour cela, il achète les semences en année N-1, les multiplie sur une petite surface et les ressème en année N. « Cela me permet d’obtenir un mélange plus homogène que si je mélangeais les semences directement dans une benne », explique-t-il. L’inconvénient de cette technique est de ne plus avoir de visibilité sur le comportement de chacune des variétés sur l’exploitation. « Et je suis moins réactif si je veux changer de variété », complète-t-il.
Des débouchés encore insuffisants
Chaque variété est semée à parts égales et l’itinéraire technique est le même qu’avec des variétés pures. Le gros avantage est de ne pas avoir besoin d’alloter : toute la récolte est stockée à plat dans un silo d’une capacité de 350 t. Le blé part ensuite à Rouen, à l’export, via des négoces. « Je commercialise de cette façon depuis vingt ans, et l’on ne m’a jamais demandé quelles variétés je fournissais », indique Antoine Lambert, conscient que ce type de débouché n’est pas une généralité en France, où un bon nombre de coopératives refusent les mélanges à cause des contrats en meunerie. D’ailleurs, il ne peut pas effectuer la même technique avec l’orge, car son contrat en brasserie lui impose de livrer en pur. Avant de se lancer dans les mélanges, mieux vaut donc s’assurer que l’on peut les vendre… « C’est dommage de mettre des freins à des techniques qui ne nuisent à personne », déplore l’agriculteur. D’autant que la littérature scientifique démontre l’intérêt des associations depuis les années 1960 : de façon générale, la diversité variétale apporte une meilleure résistance aux maladies, à la verse, ainsi qu’une meilleure résilience face au stress.