«En 2009, lorsque le prix de base du lait est tombé à 220 euros/1000 l, nous avons décidé de nous réorienter vers l’appellation d’origine protégée (AOP) Laguiole », racontent Jean-Claude et Marie-Paule Guigon. Avec des voisins, ils ont sollicité la coopérative Jeune montagne, qui a accepté de venir collecter leur lait. « Nous conduisions nos vaches en zéro pâturage, avec une ration complète à base d’ensilage. Pour intégrer l’AOP, nous avons dû revoir notre système fourrager, car le cahier des charges interdit l’ensilage et impose cent vingt jours minimum de pâturage », expliquent Jean-Claude et Marie-Paule.

Les fourrages grossiers doivent être produits dans l’aire d’appellation. Pour améliorer leur autonomie, les deux éleveurs ont réduit leur surface en céréales de 8 à 2 ha. Le ray-grass italien (10 ha), très productif en première coupe, s’adaptait bien à l’ensilage mais pas au pâturage tournant. Il a été remplacé par des mélanges longue durée qui associent trèfle blanc, ray-grass anglais, dactyle et fétuque.

Les laitières sortent désormais dès le mois de mars, et pâturent dans les prairies temporaires et permanentes. La gestion de la surface se fait au fil. « Pour ajuster la ration, il faut se remettre en question chaque jour en fonction de l’herbe disponible. C’est complexe ! Nous avons fait appel à une société de conseil, Rhizobium, pour démarrer », note Marie-Paule. Le foncier étant dispersé en plusieurs îlots, ils ont préféré déplacer la salle de traite plutôt que le troupeau. « Nous avons investi 12 000 € dans une salle de traite mobile d’occasion, et aménagé une aire gravillonnée dans chaque îlot pour l’y installer. Avec une boule à lait attelée au 4 x 4, nous amenons de l’eau pour le lavage et nous ramenons le lait », précise-t-elle.

 Cinq ans de transition 

Le changement de race s’est étalé de 2010 à 2014. « Nous avons acheté surtout des génisses simmentals sevrées de deux à trois mois, et quelques génisses prêtes à vêler. Elles ont remplacé nos brunes au fur et à mesure des réformes », précisent les deux éleveurs, qui ont bénéficié de 7 300 € d’aides régionales pour l’achat d’animaux sélectionnés. Ils étaient attachés à leurs brunes, mais n’ont pas été déçus par les simmentals. « C’est une race mixte, rustique, qui s’adapte bien à l’altitude et à la pente. Les vaches sont juste un peu vives, il faut éviter de les surprendre lorsqu’on s’approche d’elles », note Jean-Claude.

La production de lait a été calée sur 5 900 l/VL, pour respecter le maximum de 6 000 l/VL prévus dans le cahier des charges. « En concentré, nous sommes à 1 735 kg/VL en 2015, pratiquement au même niveau qu’avant, alors que la production a baissé. Pour progresser sur ce point, nous devons améliorer la qualité du foin », analyse-t-il. Au printemps, réussir à sécher l’herbe n’est pas facile dans leur zone. « L’an dernier, nous avons dû ressortir le foin de la grange pour finir de le sécher ! Et si nous récoltons plus tard, la valeur fourragère diminue. Il faudra à terme investir dans un séchage en grange », envisage Marie-Paule.

En 2009, lorsqu’ils ont décidé de se réorienter, attendre l’année 2015 pour rejoindre leur nouvelle laiterie leur paraissait long. « Mais il a bien fallu tout ce temps pour recaler notre système », constate Jean-Claude. Avec la gestion du pâturage et la traite au pré, leur charge de travail a augmenté. « Et pour compenser la baisse des surfaces en céréales, nous devons acheter 30 t de grain et 70 t de paille en plus », précise Marie-Paule.

 Un bilan positif 

En contrepartie, les produits d’exploitation ont progressé. Les veaux simmentals partent à 200 euros de plus par tête que les bruns. Et le prix du lait n’est pas le même… « En 2015, nous avons perçu une moyenne de 541 euros/1 000 l. Notre travail est bien valorisé. Et nous savons ce que devient notre lait, qui est transformé en AOP Laguiole ou en tomme de l’Aubrac destinée à la fabrication de l’aligot, souligne-t-elle. Cela valait la peine de se remettre en question ! »

La coopérative Jeune montagne, très proche de ses 80 adhérents, leur propose des services, qui vont de la prise en charge de la moitié du coût du contrôle laitier jusqu’au service de remplacement à tarif réduit. « C’est appréciable. Elle a cinq salariés qui peuvent nous relayer. Et cela ne nous coûte que 50 euros/jour », note Marie-Paule.

Les commerciaux se battent au quotidien pour maintenir une bonne valorisation tout en diversifiant les débouchés. « Ce n’est pas gagné d’avance, c’est un vrai challenge ! Mais en rejoignant cette coopérative, nous avons retrouvé des perspectives d’avenir », conclut Jean-Claude.