L’utilisation de ressources génétiques d’intérêt agronomique est le point de départ de tout processus d’innovation variétale. Encore faut-il que les collections les rassemblant soient gérées à bon escient. « Mieux on connaît les ressources génétiques, plus elles sont valorisables », confirme Audrey Didier, coordinatrice nationale de la conservation des ressources phytogénétiques au Géves. D’où l’importance d’effectuer un travail précis de description morphologique, agronomique, technologique et moléculaire du matériel végétal présent dans les collections. Une fois ces données « passeport » mises à jour, toutes les accessions (entités génétiques) sont conservées et multipliées régulièrement pour être ensuite diffusées.
12 000 blés tendres conservés
La gestion des ressources génétiques est notamment réalisée par les différents CRB (centres de ressources biologiques végétaux). C’est le cas du CRB des céréales à paille, qui étudie à la fois des variétés populations du XIXe siècle, des lignées « élites » de la fin du XXe siècle, des variétés inscrites récentes ou très anciennes. « Ce centre labellisé conserve environ 27 000 accessions de céréales à paille », chiffre François Balfourier, de l’Inra de Clermont-Ferrand et responsable du CRB. De nouvelles ressources génétiques intègrent régulièrement la collection. Celle-ci se compose d’environ 12 000 blés tendres et apparentés, 6 600 orges, 3 200 blés durs et apparentés, 1 300 triticales, 1 600 avoines et 450 Aegylops.
Les 12 000 lignées de blé tendre sont d’origine française (un tiers), européenne (un tiers), le restant provenant d’une soixantaine de pays différents. C’est l’une des premières collections au niveau européen. En orge, le matériel conservé provient essentiellement d’introductions étrangères (Europe, Asie, Australie, Maroc…).
« Les lots de semences sont conservés dans une chambre froide à une température de 4 °C et à une humidité de 30 %, détaille François Balfourier. Il est prévu que chaque lot ait un double de sécurité placé au congélateur à - 20 °C, dans un bâtiment différent. » Le taux de germination des semences est suivi régulièrement et, tous les quinze ans, elles sont régénérées en plein champ et en serre pour renouveler le stock de graines de qualité. Le matériel végétal est évalué en cours de végétation sur des critères phénotypiques (résistance au froid, précocité, hauteur, verse, aspect de l’épi, sensibilité aux maladies…). Après récolte manuelle et séchage, cinq lots sont constitués : un de semences destiné à la distribution des ressources, un lot destiné au renouvellement, un autre d’épis autofécondés et destinés aux analyses moléculaires, deux épis servant de lot de référence phénotypique pour assurer une traçabilité entre deux cycles de multiplication, un double de sécurité.
Utilisation dans les projets de recherche
Quelque 4 200 échantillons sont distribués annuellement en France (80 %) et dans le monde (20 %), à destination de sélectionneurs privés, instituts de recherche publique, conservatoires, associations… (1) « Les semences peuvent être diffusées aux agriculteurs sur demande », informe Audrey Didier. Certains souhaitent par exemple des variétés de céréales à haute paille mais il leur faut du temps pour les exploiter au vu du faible nombre de graines distribuées : 100 grains par variété pour les céréales. »
Le CRB de Clermont-Ferrand coordonne par ailleurs le « réseau national ressources génétiques céréales à paille », composé de douze sélectionneurs privés. Ce réseau a défini des collections nationales pour le triticale (36 accessions), l’orge (461) et le blé tendre (1 784). « Cette collection de blé tendre retrace l’histoire de la sélection du blé français du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui », explique François Balfourier. Elle a été déclarée au Tirpaa en 2010 (lire l’encadré p. 40). Dans le cadre du projet Casdar « Colnator » mené sur l’orge depuis 2015 par l’Inra et l’UFS (Union française des semenciers) au travers de neuf partenaires privés, la collection orge va s’élargir à 570 accessions. Elles vont être multipliées et évaluées au niveau agronomique et moléculaire dans dix lieux du nord de la France.
Les CRB participent aussi à des projets de recherche dont les objectifs sont tous in fine de créer de nouvelles variétés plus productives dans un contexte d’agriculture durable. L’idée est de rechercher par exemple des gènes intéressants qui auraient disparu au moment de la domestication ou au fur et à mesure des cycles de sélection classique. Ainsi, le CRB céréales à paille est partenaire du projet d’investissement d’avenir BreedWheat. Il vise à introduire, par croisements naturels, une diversité nouvelle dans les programmes d’amélioration génétique du blé tendre en France, pour répondre aux nouvelles contraintes environnementales. 4 800 blés provenant de 108 pays ont été sélectionnés, afin de décrire la diversité génétique mondiale de l’espèce. 15 % proviennent de France. Par ailleurs, le projet européen Whealbi, débuté en 2014, vise à utiliser les séquences génomiques issues de ressources génétiques de 1 000 blés et orges dans les programmes de sélection de ces cultures. Objectif : mieux caractériser la diversité génétique pour mieux l’utiliser.
(1) Certaines données sont consultables sur SIReGal, base de données nationale des ressources génétiques végétales, via internet (urgi.versailles.inra.fr).