«Je n’ai rien vu venir. J’ai aperçu un écran de fumée devant mes yeux. Je venais de recevoir un violent coup de machette en plein visage. La fumée ? L’impact de la lame sur l’os de ma mâchoire. Ce 31 juillet 2012, après le dîner, je suis reparti ramasser de la paille avec mon tracteur attelé d’un plateau. Sur la route, je me suis retrouvé face à une voiture accidentée. Le conducteur paraissait indemne. J‘ai pris mon téléphone pour appeler la gendarmerie. C’est à cet instant que le chauffeur m’a asséné un violent coup. J’ai eu la vie sauve car j’avais la tête baissée, sinon il me tranchait la gorge.
Cette nuit-là, dans sa folie meurtrière, l’agresseur a tué la personne qui l’hébergeait, agressé deux personnes âgées les laissant pour mortes, percuté volontairement l’automobiliste qui arrivait en face le tuant et blessé une autre personne qui, comme moi, s’était portée à son secours. Un véritable scénario catastrophe.
Je me donne du temps
J’ai été opéré dans la nuit. J’avais la mâchoire fracturée, cinq dents coupées au niveau de la racine et une plaie de 10 cm sur la joue. Après quatre jours d’hospitalisation, je suis rentré chez moi. La mutuelle « coups durs » entre agriculteurs a fonctionné à plein. Quel soulagement de voir toute la paille ramassée à mon retour !
Au départ, j’ai ressenti beaucoup de colère. Moi, grand gaillard de 1 m 92 et 85 kg, je n’avais rien pu faire. J’allais pour secourir et j’ai subi une agression. Heureusement, j’ai pu compter sur le soutien de ma femme, de mes trois filles, des amis. La mort, nous en avions souvent parlé avec mon épouse qui lutte contre la maladie depuis plusieurs années. Mais, l’avoir frôlée, rend plus vulnérable. Très vite, je me suis dit qu’il fallait que je me reconstruise. En dehors de la souffrance physique, cet événement ne devait pas me gâcher ma vie. Ma meilleure thérapie a été d’en parler.
Depuis, j’essaie que chaque journée m’apporte des choses positives. La vie est un cadeau, il ne faut pas passer à côté. J’ai pris un salarié pour la traite un week-end sur deux. Une journée par semaine, je dégage du temps pour vaquer à des occupations qui me font plaisir. Avant, j’aurais culpabilisé à cause du regard des autres. J’ai retrouvé une certaine liberté. Je me donne du temps. « Tout ce qui ne tue pas rend plus fort », disait Nietzsche. D’une expérience douloureuse comme celle-là, il faut sortir grandi. »