La sécheresse 2018 restera dans les annales, tant par sa durée que par son intensité. Les trois-quarts de la France sont touchés, ce qui a limité les rendements du maïs (lire encadré p. 16). Dans certaines régions, il n’y a eu aucune pluie depuis le 10 juin dernier. C’est dire si les précipitations tombées cette semaine étaient attendues avec impatience par les producteurs. Mais elles arrivent trop tard pour les semis de colzas.
Nombre d’agriculteurs ont dû se résoudre à ne pas implanter les surfaces prévues. Et dans les parcelles où le semis a été possible, les plantes ont souvent eu du mal à lever. Certains champs ont déjà été retournés. Pour d’autres, la question se posera à la sortie de l’hiver. Là où quelques millimètres sont tombés en septembre, les colzas sont à un stade normal.
De l’avis de nombreux opérateurs, la sole de colza chuterait d’au moins 30 % au niveau national. Les régions les plus touchées sont la Bourgogne Franche-Comté (lire encadré), où seuls 20 % des surfaces de colzas prévues devraient être récoltées en 2019. En Poitou-Charentes-Vendée-Limousin, « seulement la moitié des intentions a été réalisée. Ce qui a été semé a levé tard et il y a beaucoup de petites plantes cachées dans les graminées, explique Fabien Lagarde, de Terres Inovia. On ne sait pas comment cela va évoluer ». « Les parcelles sont très hétérogènes, avec des parties où le colza a bien levé, d’autres pas du tout, renchérit un opérateur en Charente-Maritime. C’est compliqué de prendre la décision de retourner. S’il y a cinq à huit plantes par mètre carré bien réparties, ça peut passer. »
Petits colzas
Dans le Grand-Est (lire ci-dessous) et en Centre-Val de Loire, il manque de 30 à 40 % des surfaces en moyenne. C’est plus dans le Loiret : « Pas plus de 40 % des surfaces de colza ont été implantées et se sont développées, chiffre un responsable agronomique d’une coopérative du département. Et on n’est même pas sûr que ça aille jusqu’au bout, car les plantes sont très petites et la plupart du temps dévorées par les insectes. Certaines sont seulement au stade cotylédons - une feuille au lieu du stade rosette habituel. Beaucoup de parcelles sont hétérogènes. Là où il y a de l’argile rien n’a poussé. »
Casse-tête de l’assolement
Chez Pierre Poupart, agriculteur en Champagne crayeuse, « les levées de colza sont très hétérogènes avec des stades allant de deux à quatre feuilles à dix feuilles. » En île-de-France et dans les Pays de la Loire, il manque de 20 à 30 % des surfaces. Des dégâts sont aussi observés en Normandie et dans les Hauts-de-France. « Sur mes 37 ha de colza, six seulement sont sauvés pour l’instant, indique Stéphane Pamart, agriculteur à Paissy, dans le sud de l’Aisne. Les autres lèvent tout juste. Je les ai semés le 30 août dans le sec. Jamais je n’aurais imaginé qu’il n’allait pas pleuvoir. Ce n’est jamais arrivé dans la région. » Il y a bien eu 2 ou 3 mm de temps en temps, qui se sont évaporés immédiatement. Il a plu 7 mm il y a une dizaine de jours, mais c’est loin d’être suffisant. « Je vais attendre la sortie de l’hiver pour décider ou pas de retourner une partie des colzas, ajoute le jeune agriculteur. Je ne pouvais pas les remplacer par du blé, car je les avais déjà désherbés. Le souci est que j’ai déjà investi beaucoup dans le colza : deux insecticides contre les altises, en plus du désherbage. Je vais devoir continuer à les protéger, sinon ils vont se faire dévorer. »
Retard dans les céréales
Idem pour Pierre Poupart : « à la sortie de l’hiver, on verra s’il faut retourner des parcelles pour implanter de l’orge de printemps, seule culture de remplacement possible vu les herbicides appliqués sur colza. Malgré tout, sur ce dernier, on a investi dans une protection insecticide suffisante car la pression pucerons et charançons est importante et les plus chétifs beaucoup moins résistants. »
Pour ceux qui n’ont pas semé de colza, c’est le casse-tête pour savoir par quoi le remplacer. Certaines surfaces seront implantées avec des cultures de printemps, d’autres avec du blé, même en précédent paille. Mais là encore faut-il pouvoir semer. Les préparations de sol ont été très laborieuses, et les casses d’outils ne sont pas rares. « Il y a trois semaines de retard par rapport aux dates des premiers semis de blé, note-t-on dans le Loiret. À partir de la fin octobre, on conseille d’augmenter la densité de 10 à 15 % chaque semaine. » Selon ce conseiller, il faudrait de 40 à 50 mm de pluies pour améliorer la situation dans les terres argileuses. Vingt millimètres peuvent suffire dans les limons.
Le bulletin Céré’Obs de FranceAgrimer, publié le 26 octobre, faisait état de 51 % des blés semés au 21 octobre, contre 58 % l’an dernier. Cette année, 23 % étaient levés contre 33 % en 2017. Les chantiers ont toutefois pu avancer la semaine dernière, dans la poussière. « J’ai semé mon blé, là encore dans le sec, précise Stéphane Pamart, dans l’Aisne. La grande question est de savoir comment le désherber. On craint d’engager des dépenses sans savoir ce que ça va donner. »
La problématique de la sécheresse a également touché les semis d’orge d’hiver. Il fallait en effet attendre que les repousses de blé émergent, ce que le déficit de pluies n’a pas permis. Or, la présence de repousses de blé dans les parcelles d’orge brassicole entraîne le déclassement en fourrager.
En Bourgogne, les cas diffèrent selon les secteurs. « Globalement, les blés et orges d’hiver sont quasiment tous implantés, relate un technicien régional. Les premiers ont été semés début octobre après les précipitations de fin septembre ; d’autres mi-octobre après l’annonce d’une prévision de pluie finalement absente. Les dates de semis ont été peu impactées, malgré la consigne de les décaler pour détruire les mauvaises herbes. Cependant, en l’absence de pluie durant l’interculture, les faux-semis n’ont pas pu être réalisés.
Une année compliquée
L’année va être compliquée en termes de désherbage car la pression adventice est forte. » Certains ont semé le week-end dernier en prévision des pluies. « En fin de semaine dernière, en Maine-et-Loire, nous avions passé les 50 % de semis d’orge et de blé tendre. Avec les 20 mm dans la nuit de dimanche à lundi et la météo de cette semaine, nous devrions atteindre les 70-80 % dimanche et le 11 novembre, tout devrait être fini. Les emblavements d’automne sont supérieurs à ceux de l’an passé, en raison du faible taux de réussite du colza. De plus, le blé reste une valeur refuge avec des prix qui ne sont pas ridicules ! », détaille un dirigeant de coopérative du département. En Bourgogne, il a plu localement lundi. « on espère 15-20 mm plus généralement au courant de la semaine. »
Aujourd’hui, le travail simplifié est déconseillé pour les semis d’orge derrière blé. Il faut attendre ou labourer une fois qu’il a plu et semer ensuite. « nous sortons d’un cycle sec très long et, avec ces pluies, les gens recourent davantage au labour, pas forcément prévu. Cette technique a longtemps été le meilleur moyen de lutter contre les adventices », note-t-on en Maine-et-Loire.
En orges d’hiver, 61 % étaient semées au 21 octobre contre 72 % l’an dernier. Et 35 % étaient levées contre 48 % en 2017. Les parcelles sont parfois hétérogènes, et certains ont même mis en place l’irrigation, du jamais vu à cette époque de l’année.