«Chaque été, nous conduisons vaches et chevaux dans une estive privée, en vallée d’Aspe. Tant que le temps le permet, nous les laissons pâturer l’herbe de la montagne. Là-haut, nos animaux vivent en liberté. Nous montons régulièrement contrôler que tout va bien.

Ce mardi 9 octobre, nous explorons l’estive, ma femme et sa sœur d’un côté, moi de l’autre. Tout est calme, le temps magnifique…

Je retrouve mes vaches après vingt minutes de marche et je décide de les contourner. Au détour d’un mont, des craquements de branches m’alertent. Pour moi, il s’agit d’un de mes chevaux. Mais le bruit de pas est trop régulier et rapide. Je me souviens alors de l’ours lâché cinq jours plus tôt. Soudain, il surgit face à moi, à quinze mètres. Nous stoppons net tous les deux. Je suis pétrifié. Quand il se dresse sur ses pattes arrière, mon réflexe est de crier très fort et de secouer mon bâton en l’air.

L’ours fait demi-tour. J’ai peur pour mon épouse et sa sœur. J’ai les jambes coupées. J’essaye de les prévenir par talkie-walkie, mais la liaison est mauvaise. Cette phrase me vient : « ça y est, je l’ai vu ! » Ma femme pense que j’ai retrouvé un veau égaré. « Tant mieux », me répond-elle. Heureusement, elle ne voit rien.

En colère et inquiet

Je repars fatigué et à cran. Cette nuit-là, impossible de dormir. Je pense à notre capital. Je songe à toutes les fois où mon fils de 9 ans et sa mère montent voir le troupeau…

Le lendemain, nous retournons chercher nos vaches. Il est impensable de les laisser. Elles sont dans un état d’excitation effroyable. Elles descendent comme des folles. Nous avons beaucoup de mal à les contrôler.

Le soir, une de nos juments est retrouvée morte, tombée dans un ravin. Une expertise est faite. L’ONCFS (1) valide notre histoire. Elle concorde avec les relevés GPS de l’ours.

Nous sommes en colère : nous ne maîtrisons ni le marché, ni la météo, ni le sanitaire. Nous perdons les ICHN. Pourquoi nous compliquer davantage la tâche avec les lâchers d’ours ? Comment trouver notre équilibre financier et psychologique ?

Nous adorons notre système transhumant. Il est vital pour notre activité économique. Aujourd’hui, il est en péril. Nous sommes très inquiets pour l’an prochain. »

Propos recueillispar Hélène Quenin

(1) Office national de la chasse et de la faune sauvage.