«La ferme est dans la famille depuis plusieurs générations. En 2000, lors du départ en retraite de mon père, ma mère a cessé son travail à l’extérieur pour prendre sa suite. Après mes études agricoles, j’ai trouvé un emploi dans l’agroalimentaire, mais à temps partiel, de manière à l’aider. J’ai refusé une promotion, qui nécessitait que je passe à temps plein. Dès 2015, j’ai entamé les démarches au Point accueil installation transmission, le stage de 21 h, le plan d’entreprise… afin de me préparer au mieux à la reprise de l’exploitation, vers 2016. Mes parents étaient heureux que l’un de leurs quatre enfants reprenne le flambeau. De mon côté, je me réjouissais de moderniser l’étable, de faire à ma façon, convaincu que la ferme familiale avait du potentiel.

Blocage

Quand nous en avons discuté en famille, l’un de mes frères, pourtant pas du tout intéressé par l’agriculture, s’est insurgé. Il voulait sa part. C’était son droit. Il s’opposait à mon salaire différé, considérant que nous avions tous donné un coup de main aux parents. Comme beaucoup d’agriculteurs, mon père et ma mère ont mis tout leur argent dans l’exploitation et la maison. Ils n’ont pas les moyens de le dédommager en espèces. Ils pensaient que tous auraient abandonné leur part, une pratique courante dans le Sud-Ouest.

Or, si je paie une soulte, je ne pourrai pas moderniser l’outil. C’est l’un ou l’autre. Il est hors de question de m’endetter outre mesure. Et, si mon frère a sa part, il faudrait que les autres l’aient aussi, sinon ce serait injuste. Soit, tous renonçaient pour que l’un de nous reprenne l’exploitation, soit chacun avait son dû et on divisait la ferme. Le juriste m’a bien proposé de m’installer avec un bail de carrière, pour éviter le transfert du foncier. Mais je ne me voyais pas démarrer sans l’accord unanime de mon frère et mes sœurs. La bénédiction des parents ne suffit pas. Après leur disparition, c’est à la fratrie que j’aurai affaire. Je ne veux pas, quand ils seront décédés, affronter les rancœurs fraternelles, avoir à croiser mon frère au quotidien si la maison lui revient.

Début 2018, à l’heure des bonnes résolutions, j’ai donc renoncé à mon rêve agricole, et mes parents ne se résolvent pas à louer les terres à des tiers. Une installation ratée et un gâchis familial. »

Propos recueillis par Gaia Campguilhem