«Après quinze ans en tant que fonctionnaire, j’avais besoin de changer de vie : retrouver le lien avec la terre et les animaux, prendre le temps, être présente pour mes enfants, travailler en couple. Les métiers de la terre sont pour moi les plus beaux et les plus sains.
J’étais en plein dans mes démarches d’installation pour m’associer avec mon mari sur l’exploitation familiale quand la nouvelle est tombée : Georges s’est suicidé par arme à feu dans sa bergerie. Son épouse a dit que la ferme lui avait pris son mari. Pour moi, au contraire, la ferme représentait mon avenir, ma renaissance.
Entre le décès et l’enterrement, quinze jours se sont écoulés en raison de l’autopsie. Ce fut beaucoup trop long pour la famille et pour le village. Dans cet intervalle, ma fille, camarade de classe de la leur, est rentrée en pleurs à la maison : pourquoi Georges a-t-il abandonné ses enfants ? Dans sa petite tête, le lien était clair : son père était paysan, j’étais en train de m’installer, nous avons un fusil. Nous avons mis du temps à la rassurer et à nous rassurer…
Comment ne pas en arriver à ce stade de non-retour ? Mari et femme, nous travaillons comme des associés, mais nous sommes avant tout un couple. Cet événement tragique nous a rappelé que nous devons prendre le temps de nous arrêter, de discuter de nous, notre santé, notre stress, nos enfants, nos projets de vie et pas toujours de l’entreprise. Même si la ferme fait partie intégrante de notre vie. Quant au travail, nous ne sommes pas seuls, quand l’un ne va pas bien ou est malade, c’est l’autre qui prend le relais.
Le défunt était tiraillé entre son épouse, qui travaillait à l’extérieur, et ses parents qui, bien qu’à la retraite, avaient encore un lourd poids décisionnaire. Nous aussi, nous avons dû faire face au conflit des générations. Mais depuis, nous prenons nos décisions sans demander l’avis ou l’accord des anciens. Nous ne tenons pas à assumer, ni à subir le choix des autres.
La situation économique est difficile sur notre exploitation, à cause d’une restructuration. Cependant, ce n’est pas une raison pour sacrifier notre santé psychique ou physique, ni notre famille. J’ai opéré une reconversion professionnelle car justement je ne suis pas carriériste. Mon mari, mes enfants, mes animaux me suffisent. »