La fermeture des frontières européennes impacte directement les agriculteurs de nos pays voisins. En Belgique, Allemagne, comme ici en France, la saison des fruits et des légumes nécessitant une main-d’œuvre importante débute. Confinement oblige, les candidats manquent sérieusement à l’appel.
En Allemagne, on nomme les asperges « l’or blanc ». En cette mi-mars, 23 000 hectares doivent être bientôt plantés. Sauf que les producteurs, comme ceux d’autres cultures maraîchères, n’ont pas de saisonniers en raison des restrictions causées par la pandémie de coronavirus. En tant normal, la République fédérale accueille en moyenne 286 000 travailleurs saisonniers agricoles, principalement en provenance d’Europe de l’Est.
Pont aérien
« La main-d’œuvre n’a pas peur de venir en Allemagne, mais elle craint de ne pas pouvoir revenir dans son pays sans être mise en quarantaine, explique Julia Klöckner, la ministre fédérale de l’Agriculture. Nous sommes dépendants des réglementations des pays voisins. » Certains Etats de transit, comme la Hongrie ou l’Autriche, ont de surcroît fermé leurs frontières. Les saisonniers ne pouvant arriver comme d’habitude par la route, les autorités et les exploitants réfléchissent à les faire venir par avion, sous réserve que les personnes ne soient pas malades. La ministre a eu des contacts avec la compagnie nationale Lufthansa, dont 95 % de ses liaisons sont annulées à cause de la pandémie. « Nous avons aussi demandé aux compagnies aériennes roumaines si nous pouvions organiser des vols charters », indique Simon Schumacher, producteur et président de l’Association des producteurs d’asperges et de fraises du sud de l’Allemagne.
Personnel indispensable
Les saisonniers sont considérés comme du personnel indispensable. Encore faut-il que les aéroports restent ouverts. « J’espère que les ministères de l’Intérieur et de la Santé comprendront que sans saisonniers, il n’y aura pas de récoltes », souligne Simon Schumacher, soucieux pour l’avenir des producteurs. Reste la question de la prise en charge de ces frais. « Peu importe qui paye le voyage, si les gens ne viennent pas, les dommages seront plus importants », prévient le producteur qui s’attend à ce que les exploitants avancent les fonds le cas échéant. Il imagine une solution pragmatique : « Les saisonniers payent d’ordinaire autour de 120 € pour le bus afin de venir travailler en Allemagne. Ils pourraient contribuer à hauteur de ce montant pour le billet d’avion. »
Simon Schumacher préfère insister sur la piste du pont aérien et d’une prolongation du permis de travail des saisonniers, limité à soixante-dix jours jusqu’à présent, « avant de convertir le garçon de café en ramasseur d’asperges ». La ministre de l’Agriculture suggère, elle, d’employer des personnes au chômage technique, ayant perdu leur emploi ou qui touchent les minima sociaux. Il existe toutefois des obstacles comme le plafonnement des rémunérations annexes des chômeurs ou des allocataires. Un assouplissement de la réglementation est à l’étude.
La question des saisonniers est la « principale priorité », confirme Joachim Ruckwied, patron du principal syndica agricole allemand DBV. Sans solution pour fournir des bras, la sécurité des approvisionnements alimentaires de la population serait remise en question.
Aide des autres secteurs
Et ce constat est le même en Belgique, où le syndicat Boerenbond s’inquiète du manque de main-d’œuvre. La saison des asperges a commencé, celle des fraises et des tomates est imminente. Le secteur emploie généralement des saisonniers venus de l’est de l’Europe, particulièrement de Roumanie et de Pologne, qui ne pourront plus franchir les frontières. Il faut dès à présent trouver des solutions. Le Boerenbond plaide pour permettre aux personnes au chômage économique dans d’autres secteurs de venir prêter main-forte.
« Des champs vides seraient dévastateurs »
Si l’Europe est considérée comme l’épicentre de la pandémie, le virus se propage aussi à vive allure sur le territoire américain. Comme dans tous les pays touchés, le bon fonctionnement des filières alimentaires est crucial. Pas un jour ne passe sans un message rassurant du secrétaire à l’Agriculture, Sonny Perdue. « Je peux vous affirmer que notre approvisionnement alimentaire est assuré, les gens sont au travail. » Si les images de supermarchés vidés de leurs produits de base ne doivent normalement pas perdurer, de nombreux défis attendent les producteurs ainsi que les transformateurs.
Entre les mesures d’éloignement et les précautions sanitaires, les entreprises du secteur pourraient faire face à des ralentissements, voire des arrêts. Zippy Duvall, président du syndicat agricole Farm Bureau, souligne l’importance de maintenir l’activité des usines de transformation et l’approvisionnement des exploitations. « Des étals vides peuvent effrayer, mais des champs et des granges vides seraient dévastateurs. » Le syndicat souhaite en outre que les dérogations d’urgence accordées au transport alimentaire soient étendues au transport agricole.
Avant même que le virus ne frappe les États-Unis, les agriculteurs américains ressentaient déjà les effets du ralentissement chinois sur les prix agricoles. Grande victime de ce recul, le prix du bœuf vif, qui a perdu 24 % sur le marché à terme depuis le mois de janvier. La semaine passée, le géant de la viande Tyson Foods a accordé une prime d’environ 10 cents $/kg aux éleveurs. Les Américains se sont précipités sur la viande en magasin pour faire des stocks. Les morceaux de référence ont ainsi pris près de 1$/kg en une semaine.
Le coronavirus a aussi largement contrarié la reprise des exports de soja vers la Chine, prévue cette année. Pour le moment, le secteur reste optimiste à l’image de Todd Hubbs, économiste à l’université de l’Illinois. « La Chine est en train de redémarrer, le Japon pareillement. Il faut que notre logistique reste performante pendant cette crise pour profiter des opportunités qui arrivent. »
Une chance pour certains
Malgré la crise que traverse l’Union européenne, des opportunités apparaissent. En Belgique, les consommateurs découvrent les circuits courts. Les producteurs voient affluer une nouvelle clientèle qu’il faudra conserver au-delà de la crise. « C’est comme les fêtes de fin d’année, sauf qu’on ne vend pas de foie gras. » Le constat est dressé par une employée de la coopérative « Point ferme », basée en province de Liège, qui rassemble une quarantaine de producteurs. Depuis le début de la crise Covid-19, les commandes ne cessent d’affluer. La semaine dernière, elle estime avoir augmenté de 30 % son volume de ventes. « Ce n’est pas la crise du tout, sourit-elle. C’est hyperpositif. Mais c’est dommage d’avoir attendu des circonstances pareilles. »
Du côté des producteurs membres de la coopérative, il n’y a pas de relâche : le boulanger artisanal effectue jusqu’à trois fournées de pain par nuit, le producteur laitier écrème en permanence pour fournir yaourts et fromages. Pour une fois, serait-on tenté d’écrire, une crise profite au secteur agricole. Même s’il ne s’agit que d’une diversification. « Je ne sais pas si les gens ont compris qu’il fallait manger mieux ou si c’est par facilité… » pour éviter l’assaut des grandes surfaces. Au niveau des mesures sanitaires, le Point ferme a réorganisé ses distributions : seuls les lieux de dépôt des colis permettant un respect des règles ont été maintenus. Quant au magasin central, il a amélioré son système de drive-in afin de limiter les contacts avec la clientèle.