Le statut du fermage est-il sur le point de chavirer ? Du haut de ses 72 ans, et malgré différents coups de pinceaux législatifs, l’âge de ce vieux paquebot se fait sentir. Jugé désuet, inadapté ou dépassé, il a vogué ces derniers mois sur une mer particulièrement agitée. À son bord, fermiers et bailleurs peinent de plus en plus à maintenir leur équilibre. Suffisant pour que certains décident d’appeler au changement.
Pieds et poings liés
« Les velléités de contournement se font de plus en plus importantes », estime Luc Rolland, président de la section nationale des fermiers et métayers (SNFM) de la FNSEA. Se sentant pieds et poings liés par la mise en location de leurs terres, des propriétaires préfèrent suivre un autre cap en externalisant intégralement l’exploitation de leurs biens. « 12 % des fermes de grandes cultures sont cultivées aujourd’hui de A à Z par un tiers », précisait Luc Rolland, le 1er février, lors du congrès annuel de la section. Pour Hervé de Monvallier, président du Syndicat départemental de la propriété privée rurale de la Vienne, « avant de taper sur les gens qui ont recours au travail à façon, il faut d’abord comprendre pourquoi ils le font et s’attaquer aux racines du mal ». D’après le Livre blanc sur le foncier agricole publié par l’Institut notarial de l’espace rural et de l’environnement (Inere) en novembre 2017, « les propriétaires français » justifient leur choix d’une agriculture déléguée par un statut du fermage jugé « trop contraignant, trop perpétuel, trop déséquilibré et pas assez rémunérateur ».
Craignant que cette vague ne gagne trop de terrain, Luc Rolland avertit du risque de voir émerger une agriculture de prestataires de services, loin « d’une exploitation à taille humaine dans laquelle les agriculteurs, personnes physiques, gèrent leur exploitation de manière autonome et indépendante ». Pour l’éviter, la SNFM est prête à donner un peu de mou aux propriétaires. Leur credo ? « Plus de sécurité pour le fermier et davantage de liberté pour le propriétaire. » C’est sur cette base qu’ils ont travaillé à « établir de nouveaux équilibres afin de répondre aux besoins des uns et des autres ». Après avoir validé leur projet en interne, le plus difficile commencera sans doute pour eux : confronter leurs propositions à celles de la section des propriétaires. La tâche ne s’annonce pas simple, tant les intérêts entre bailleurs et preneurs peuvent être divergents.
Séduire de nouveau
Le calcul du fermage en est sans doute l’exemple le plus représentatif. Lors d’un colloque organisé à Poitiers le 16 mars 2018, Samuel Crevel, avocat du cabinet Racine, a proposé d’instituer « un fermage plus réaliste qui reflète la véritable valeur locative des biens loués », afin d’inciter les propriétaires à mettre à bail. Il considère qu’un loyer sous-évalué est nocif : « Il favorise des pas-de-porte occultes et fait fuir les investisseurs. » Une indemnité prenant en compte la valeur des terres constituerait une main tendue. Même son de cloche du côté des notaires ruraux qui proposent d’allier ce calcul à une révision triennale du prix. Face à ce débat, la profession reste inquiète. Par crainte d’un coût trop élevé des loyers, Luc Rolland milite pour que « le fermage reste en corrélation avec les revenus des exploitations agricoles ». Les différentes crises conjoncturelles des dernières années restent en tête. « Est-ce si important d’augmenter les droits des propriétaires par rapport aux enjeux de l’agriculture ? », s’est interrogé Morgan Ody, adhérente à la Confédération paysanne, à Poitiers.
Rééquilibrer pour installer
Concilier les intérêts des fermiers et des propriétaires s’annonce donc ardu mais nécessaire pour installer davantage d’agriculteurs. N’ayant pas toujours la capacité financière d’acquérir le foncier en propriété au début de leur carrière, le fermage reste souvent la première porte d’entrée de la profession. « Si on veut des jeunes, il faut conserver les bailleurs et encourager la location », précise Hervé de Monvallier. Problème : vecteur d’installation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le statut du fermage ne remplit plus aussi bien sa mission aujourd’hui. Pour s’exonérer de la gestion locative de cette terre devenue trop encombrante, les propriétaires décident parfois de vendre. Confronté au mal de terre de son propriétaire, le fermier peut se sentir obligé d’acheter pour sécuriser son exploitation. « L’achat de foncier doit rester un acte de gestion », estime Luc Rolland. « Obliger l’agriculteur à investir dans le foncier est contre-productif », a renchéri Hubert Bosse-Platière, professeur de droit à l’université de Bourgogne, durant les « rencontres de droit rural » organisées par Agridées (ex-Saf) et l’AFDR (1) le 10 avril dernier.
Étendre l’horizon aux outils de régulation
Élargissant son discours, l’universitaire prévient qu’une réforme isolée du statut du fermage ne saurait suffire à rééquilibrer le rapport entre fermiers et bailleurs. Le bail rural, le contrôle des structures et les Safer sont pour lui des outils du droit rural indissociables. Ce triptyque « s’emboîtait parfaitement et fonctionnait très bien » jusqu’à ce que les trente dernières années mettent à mal leur équilibre. Il invite le législateur « à les repenser ». Le contrôle des structures doit-il fusionner avec les Safer ? Doit-il se transformer en un contrôle de la propriété agricole ou de la concentration des exploitations ? Ou plus radicalement, doit-il être supprimé et laisser place à un « permis d’exploiter », comme le propose l’Inere ?
Pour une grande loi d’orientation
Même si des députés travaillent actuellement à la préparation d’une grande loi foncière pour 2019, voire 2020, certains invitent à aller plus loin. Pour pouvoir adapter le droit rural aux exigences d’aujourd’hui, des juristes appellent à l’élaboration d’une nouvelle politique agricole. « Il faut aujourd’hui une véritable loi d’orientation, comme il y en a eu en 1960 et 1962 », estime Julien Forget, avocat du cabinet Terrésa. Un vœu sans doute pieu. « Le quinquennat présidentiel fait que les réformes doivent sortir durant les deux premières années. Cette rapidité ne permet pas de mener les réflexions profondes dont on a besoin. » Présent lors des rencontres du droit rural du 10 avril, le député de la majorité Philippe Huppé acquiesce. Le statut du fermage devra-t-il attendre le retour du septennat pour faire sa mue ?
(1) AFDR : Association française de droit rural.