Demandez à n’importe quel agriculteur de vous citer un grand pays producteur de tracteurs, et la réponse sera inévitablement l’Allemagne, les États-Unis ou l’Italie. Et pourtant, la France est devenue le cinquième exportateur mondial de tracteurs en 2016. Forte de ses quatre usines (Claas, Agco, Kubota et Yto), elle occupe désormais une place de choix sur ce marché stratégique. Certes, il n’y a plus de tractoriste français depuis le rachat de Renault Agriculture en 2003. Mais la France s’impose peu à peu comme un pays où il fait bon être tractoriste. Et pas seulement. « En 2017, la France était le troisième pays producteur de matériels agricoles et d’espaces verts de l’Union européenne, derrière l’Allemagne et l’Italie, précise Élodie Dessart, responsable du pôle économique d’Axema, le syndicat des constructeurs et importateurs. Alors que la production européenne a diminué de 0,7 %, la production française a progressé de 9,7 %. » « Nous occupons également le cinquième rang mondial avec une production évaluée à 4,6 milliards d’euros en 2017. Et après un effondrement en 2016 lié à la crise céréalière, la reprise est avérée et les agroéquipements enregistrent une hausse de la production de 5,4 % en 2017 », se réjouit Frédéric Martin, le président d’Axema.

De gros investissements

La bonne tenue de la production française de tracteurs est symbolique du regain d’intérêt pour le « Made in France ». Site historique des tracteurs Renault, l’usine du Mans bat désormais pavillon Claas et produit autour de 50 tracteurs par jour. Hormis les tracteurs spécialisés et les Xérion, l’ensemble de la gamme Claas est construite au Mans. Du côté de Beauvais, l’usine d’Agco produit la plupart des tracteurs Massey Ferguson commercialisés sur les marchés occidentaux, ainsi que la série S Valtra, avec une cadence d’une centaine de machines par jour. Claas et Massey Ferguson fabriquent également des transmissions ensemble au sein du Gima, dont l’usine est implantée elle aussi à Beauvais. Le constructeur allemand comme son concurrent américain investissent fortement dans leurs usines françaises, qui ont été épargnées par les vagues de licenciements. Chez Claas, on a misé sur la modernisation de la chaîne de production, tandis qu’Agco a opté pour un agrandissement de l’usine.

La sensation Kubota

Si ces investissements représentent des millions d’euros et des centaines d’emplois en CDI, c’est un autre évènement qui a braqué les projecteurs sur la production française de tracteurs : l’arrivée de Kubota en terre nordiste. Le constructeur japonais a en effet choisi le site de Bierne (Nord), près du port de Dunkerque, pour produire des tracteurs de plus de 130 ch. Cette usine construite ex-nihilo a été inaugurée fin 2015 et s’est trouvée rapidement dépassée par le nombre de commandes. Ce choix de la France pour installer l’usine du deuxième groupe mondial d’agroéquipement a été vu comme « un véritable pied de nez au french-bashing », selon Yoichi Suzuki, ambassadeur du Japon en 2015. Reste enfin le cas plus délicat du tractoriste chinois Yto, qui a racheté l’usine McCormick de Saint-Dizier (52), en 2011. Spécialisé dans les transmissions, ce site pourrait produire à terme des tracteurs, mais se concentre pour le moment sur les composants.

Marché porteur

Kubota n’a pas choisi la France par hasard. Si Bierne a remporté le gros lot face à une dizaine de villes européennes, dont plusieurs aux Pays-Bas près du port de Rotterdam, c’est que le marché français du machinisme agricole suscite bien des convoitises. « La France est le premier marché européen pour les agroéquipements, précise Alain Savary, le directeur général d’Axema. En 2017, le marché français des équipements neufs agricoles et espaces verts s’est élevé à 5,1 milliards d’euros et a généré un chiffre d’affaires de 18 milliards d’euros au niveau de la distribution. Tous les constructeurs sont donc intéressés par le potentiel d’investissement des exploitations françaises. »

Et les agriculteurs et entrepreneurs de l’Hexagone sont aussi de plus en plus attirés par la production française. Pour la première fois en 2017, près d’un tiers des tracteurs standards immatriculés ont été produits en France. Massey Ferguson s’est hissé à la troisième place en part de marché avec 12 % des ventes, suivi par Claas en quatrième place (11,2 %). Kubota, qui était totalement absent de ce classement il y a encore cinq ans, occupe désormais la sixième place avec un taux de pénétration de 8,2 %.

D’autres matériels tirent aussi leur épingle du jeu comme les presses et les outils de fenaison où les usines de Kuhn (Saverne), John Deere (Arc-lès-Gray) et Claas (Woippy) hissent la France au deuxième rang des exportateurs mondiaux du secteur. En pulvérisateur, la position ultra-dominante du groupe Exel (Préciculture, Berthoud, Tecnoma, Matrot, Hardi-Évrard, Agrifac…) garantit des parts de marché confortables.

La reprise pointe le bout de son nez et Axema s’inquiète déjà de la difficulté que les constructeurs auront à suivre la cadence de production. « Nous avons déjà des difficultés opérationnelles face à une faible reprise, regrette Frédéric Martin. Depuis la crise de 2013, nous n’avons plus de stock et nous sommes en flux tendu. Nous manquons cruellement de main-d’œuvre, dans toutes les régions et sur tous les types de produits. »

Difficultés de recrutement

Axema se félicite d’avoir réussi à maintenir l’emploi à un niveau constant pendant les trois années de crise. « C’est aussi lié à l’ancrage très local de nos entreprises, qui sont pour la plupart des PME. Alors que l’industrie française a tendance à délocaliser, le machinisme agricole maintient son implantation dans les territoires, précise Alain Savary. Malheureusement, les difficultés de recrutement nous obligent à sous-traiter, la plupart du temps à l’étranger. » Avis aux amateurs : le machinisme recrute et c’est l’un des rares marchés porteurs dans l’industrie française.

Corinne Le Gall