Dépasser les postures

La capacité nourricière d’une agriculture écologique – bio en particulier – est souvent décriée. Beaucoup de gens ont un avis sur le sujet mais, qu’ils soient détracteurs ou fervents défenseurs de la bio, très peu se basent sur une démarche rigoureuse. J’ai donc décidé, il y a quelques années, de faire mes calculs à l’échelle de la France.

Les études du ministère de l’Agriculture et de l’Insee permettent d’identifier la ration moyenne des Français. Cela permet de calculer les besoins totaux en produits agricoles, en kg par habitant et par an. En confrontant ces besoins aux rendements habituels de l’agriculture biologique dans notre pays, on peut déterminer les surfaces nécessaires pour apporter à chaque Français sa ration, sans chercher pour l’instant à la modifier.

63,4 ares par Français

J’ai introduit une marge de sécurité et divers correctifs, notamment pour les importations. Puisque le régime des Français contient des produits exotiques, même s’ils ne sont pas produits sur notre sol, j’ai tenu compte des surfaces mobilisées par ces productions. D’après mes calculs, il faudrait ainsi 63,4 ares en agriculture biologique pour produire la ration d’un Français moyen. Ce chiffre tient compte des inévitables pertes entre la récolte et la consommation : j’ai appliqué un taux de 5 % pour les produits animaux et 10 % pour les produits végétaux. Avec un peu plus de 30 millions d’hectares cultivés, la France peut donc nourrir 47 à 48 millions d’habitants en production bio.

Pour en nourrir davantage, des leviers importants peuvent être actionnés. Il y a d’abord un énorme travail à faire sur le gaspillage pour réduire le nombre de repas qui finissent à la poubelle ! Ensuite, en diminuant légèrement la consommation de viande, qui mobilise beaucoup de surface, il est possible d’augmenter considérablement la capacité nourricière du territoire. En effet, dans mes calculs, sur les 63,4 ares nécessaires à l’alimentation d’un Français, 57 sont mobilisés par les productions animales !

À l’échelle mondiale, avec 4,9 milliards d’hectares actuellement utilisés par l’agriculture, on pourrait nourrir 7 milliards d’habitants avec les rendements bio français et la ration des Français. Or cette ration est bien plus riche que celle d’une grande partie de la population mondiale. Et il y a en Afrique et en Amérique des réserves de terres disponibles, qui pourraient donner de bons rendements en bio, en étant intelligemment exploitées.

Et en « conventionnel » ?

Mes calculs ne cherchaient pas à confirmer une idée préconçue. En étant honnête, j’ai pris le risque de découvrir que la bio ne peut pas nous nourrir, ce qui m’aurait attristé, car j’y ai consacré ma vie… Au bout du compte, on ne peut pas conclure que la bio va ou ne va pas nourrir la planète. Mais on peut dire que sa capacité nourricière est bonne, bien meilleure que ce que l’on a tendance à dire.

Est-on sûr, par contre, que l’agriculture conventionnelle peut nourrir le monde ? Théoriquement oui, pourtant des gens meurent de faim. Et si elle ne repose pas sur des pratiques durables, quelle sera sa capacité nourricière dans le futur ? Cette question-là est plus rarement posée !

Propos recueillis par Bérengère Lafeuille

(1) Notamment le Traité d’agroécologie aux éditions La France agricole.