Rupture historique
Très peu de sociétés ont fait le choix du végétarisme. En Inde, souvent citée comme exemple, les communautés végétariennes hindouistes vivent en relation avec des communautés musulmanes qui achètent les animaux, les tuent, les mangent et les commercialisent. Cette relation, malgré des soubresauts violents, structure la société indienne, la rend vivable. Dans quasiment toutes les sociétés, il y a un apport de protéines animales : cela va des larves d’insectes au steak. Le statut d’omnivore est très ouvert, il n’oblige pas à manger de tout. Il permet à des individus de choisir. Mais quand on est dans le refus total d’utiliser l’animal, y compris les animaux de compagnie, on n’est plus seulement dans la sphère alimentaire. C’est une rupture historique que l’on observe dans nos sociétés développées, qui n’ont pas de problème pour nourrir leur population. Il s’agit d’une sorte de révolte sociale, une entrée en dissidence par rapport au « régime alimentaire » dominant. La revendication alimentaire fait passer d’autres revendications. Elle touche le public, parce que l’alimentation que l’on assimile touche à l’intime. Mais elle ne doit pas masquer une prise de position philosophique, radicalement différente de l’humanisme.
Transparence
Il y a une vraie demande de transparence, d’informations sur les pratiques. Les vidéos qui ont fait le buzz sur internet sont intolérables. Ces cas marginaux ne représentent pas les pratiques d’élevage ou d’abattage. La mort est au cœur du discours anti-élevage. Les mouvements animalistes ne supportent pas la mort animale et, par extension, l’élevage. Au Danemark, il a fallu tuer un girafon. Des enfants, qui avaient été avertis, ont assisté à cette mise à mort sans souffrance, mais avec la réalité de la découpe de l’animal. Chaque société a sa réponse face à la mort. En France, l’approche est très différente : la mort a été totalement externalisée. Les éleveurs qui ont vu les vidéos d’associations abolitionnistes n’ont pas tant été choqués par la mort, que par la souffrance qui la précède. Ensuite, les gestes en abattoir, pour un non initié, peuvent être vus comme violents. Quand dans une vidéo de l’abattoir du Vigan un abatteur touche du pied un mouton, cela fait partie de la procédure pour vérifier son état de conscience. Faut-il une totale transparence ? Si oui, les gestes doivent être expliqués à ceux qui visitent l’abattoir. Chez les militants végans, quand on tue un animal, on tue un semblable : il s’agit d’un meurtre. Ce sont deux visions irréconciliables de la société.
Écouter les consommateurs
Nous avons réalisé une étude auprès des consommateurs. Les plus inquiets sur les conditions d’élevage ne sont pas ceux qui sont très insérés dans le milieu rural, ni les plus éloignés, mais les gens qui vivent à la frontière du rural, ou les citadins qui s’y intéressent. Parler, comme on l’entend trop, de « bobos parisiens » est contre-productif, si on ne veut pas subir les mouvements de la société. Les réelles inquiétudes des consommateurs portent sur le modèle de production agricole, sur l’industrialisation, vue de plus en plus négativement. Le respect du bien-être animal est une préoccupation qui monte. Les demandes d’information sur l’origine des produits, les modes de production, leur composition vont croissant.
(1) Centre national interprofessionnel de l’économie laitière.