« Avril 2021 : le gouvernement sri-lankais interdisait l’importation et l’usage d’engrais et de pesticides. Les motivations, pas très claires, tenaient autant de l’économie des devises (après l’impact du Covid sur le tourisme) que de la conscience écologique. Toujours est-il que les dirigeants de ce pays de 20 millions d’habitants affichaient leur fierté d’être le premier grand pays “100 % bio”. Les producteurs de thé (le fameux thé de Ceylan) affichaient alors leur inquiétude, s’attendant à produire 50 % de moins et à ne pas vendre 50 % plus cher.
Novembre 2021 : à quelques semaines d’une récolte de riz catastrophique, le gouvernement a fait machine arrière.
Passage trop rapide à l’agriculture biologique
Aujourd’hui, des émeutes de la faim embrasent le pays. Jusqu’alors autosuffisant en riz et autres denrées alimentaires de base, celui-ci n’a pas récolté assez pour nourrir sa population et se retrouve dépendant de cours mondiaux qui explosent… La population manque de nourriture, mais aussi de médicaments, ainsi que d’autres produits de base : sans riz, pas de devises.
Le passage forcé à l’agriculture biologique n’est pas le seul responsable, mais cette décision a participé aux problèmes. Si on enlève les engrais et les produits phytosanitaires, deux des piliers de la “révolution verte” des années 1950-1960, il faut inventer une autre agriculture, plus propre, mais tout aussi nourricière. Il y a 100 ans, Homo sapiens peuplait la terre de 2 milliards d’individus… Un bidon de pétrole dans une main, un sac d’ammonitrate dans l’autre, Homo sapiens a fait beaucoup de petits et les a alimentés des produits de la “révolution verte”. Ce sont 7,5 milliards de personnes qu’il faut nourrir maintenant… Peut-être 10 demain.
Construire des transitions
Revenir à l’agriculture de grand-papa ne nourrira pas tout le monde. Conserver l’agriculture de la “révolution verte”, ses modes de travail qui tassent le sol, ses rotations courtes qui dégradent la biodiversité, ses monocultures sans lien animal-végétal… et “juste” supprimer les engrais et les pesticides…, ça ne marche pas non plus.
L’agriculture de demain est à inventer. Il faut sans doute sortir de la vision en noir et blanc de deux modes de productions - extensif versus intensif - et construire des systèmes agricolesde transition à la fois écologiques et productifs. C’est possible, le bio montre un idéal possible. Cependant, ce n’est pas “la” solution à imposer vite et partout comme l’exemple du Sri Lanka le démontre. Il s’agit d’un “point de fuite” à vulgariser, à démocratiser.
Les idéologies sont rarement nourricières
Le temps est compté entre urgence climatique et urgence nourricière… Il faut abandonner vieux clivages et idées simplistes. Le vivant est complexe. Il faut vite développer les systèmes agricoles nourriciers pour tous : notre Terre, les animaux et tous les hommes. Cela s’appelle “santé globale” et c’est possible. Les idéologies sont rarement nourricières. »