Dans tous les supermarchés tunisiens, on retrouve les mêmes affichettes : « Deux litres de lait maximum par personne ». Un rationnement mis en place depuis l’été 2018, à la suite d’une baisse importante de la production laitière locale. Les derniers chiffres montrent ainsi qu’en octobre 2018, la production a baissé de 7 % par rapport à l’année précédente. « On n’a jamais vu ça », s’alarme Yahia Messaoud, chargé des viandes rouges et du lait à l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap), le plus gros syndicat agricole du pays.
112 000 éleveurs
En Tunisie, le lait demi-écrémé est subventionné. Or, le coût de production a explosé. Il est aujourd’hui supérieur au prix de vente à la collecte, fixé par l’État. La plupart des 112 000 éleveurs que compte le pays travaillent donc à perte.
À l’origine de cette situation : trois années de sécheresse, mais surtout l’inflation et la chute du dinar. Le prix des aliments concentrés, qui sont importés, et des charges en tout genre ont augmenté, contraignant certains éleveurs à se séparer de leurs bêtes. Ils sont également encouragés par une forte demande en viande de la part de l’Algérie voisine. Les plus touchés sont les petits éleveurs (moins de cinq vaches), qui représentent 80 % des producteurs de lait tunisien. Mais même les plus grosses exploitations ne sont pas épargnées. « Je m’en sors, car la qualité de mon lait me permet de le vendre à un fromager, donc un peu plus cher. Mais j’ai dû renoncer à des investissements et des embauches cette année », témoigne Abdelhafidh Hemissi, qui possède un élevage de 100 prim’holsteins dans la région de Bizerte (nord).
« On estime que 30 000 vaches, soit 6 % du cheptel national, ont été vendues en contrebande cette année », explique un responsable du ministère de l’Agriculture, qui a souhaité rester anonyme. Car le sujet est sensible et le gouvernement très critiqué pour n’avoir pas su éviter la crise. « La filière est malade, reconnaît-il. Il faudrait peut-être songer à libéraliser les prix du lait. »
Pour répondre aux besoins des consommateurs tunisiens, les autorités ont annoncé en septembre l’importation de lait de Belgique, mais aussi de France et de Hongrie. « C’est une solution de facilité, qui abandonne les producteurs à leur sort », juge Yahia Messaoud. Les syndicats agricoles réclament, eux, une augmentation du prix du lait à la collecte, et des révisions régulières en fonction du coût de production. « Sinon, la filière pourrait finir par disparaître », avertit le responsable de l’Utap.
Perrine Massy, à Tunis