«C’est un sujet délicat », prévient Abdelhamid Kasmi. Ce haut responsable au ministère de l’Agriculture tunisien est chargé du dossier de l’Aleca, l’accord de libre-échange complet et approfondi, négocié depuis 2014 avec l’Union européenne. Alors que les droits de douane entre la Tunisie et l’UE sont abolis depuis 1995 pour les produits manufacturés, ce nouvel accord propose de libéraliser le commerce des services et des produits agricoles. Ce qui suscite un débat animé chez les agriculteurs, alors qu’une troisième session de négociations doit se tenir à Bruxelles dans les semaines qui viennent.
Avec 80 % de petites et moyennes exploitations, beaucoup craignent que l’agriculture tunisienne ne fasse pas le poids face à une agriculture européenne plus compétitive. L’Aleca pourrait bénéficier à certaines productions, comme l’huile d’olive ou les agrumes, mais d’autres, comme les céréales, la viande ou le lait, ne résisteraient pas à une ouverture totale des marchés.
« La productivité du secteur agricole européen est sept fois supérieure à la nôtre, explique Abdelhamid Kasmi. Il faudrait prendre en compte les spécificités tunisiennes, discuter les points sensibles et appliquer l’accord progressivement. »
Méfiance
Ni opposition frontale, ni adhésion sans réserve : nombre d’agriculteurs restent méfiants à l’égard de l’Aleca et attendent beaucoup des négociations à venir. « Il y a un manque de transparence sur cet accord », regrette Abderrazek Krichen, oléiculteur dans la région de Sfax, à 300 km de Tunis, et responsable régional du principal syndicat agricole du pays, l’Utap (1). « C’est très bien de renforcer nos échanges avec l’UE. Mais nous sommes mal informés, et on ne nous associe pas suffisamment aux négociations. Cela ne nous aide pas à y voir plus clair », ajoute-t-il.
En avril dernier, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et Youssef Chahed, Premier ministre tunisien, ont annoncé vouloir signer l’accord avant fin 2019. Un délai trop serré, selon Abderrazak Ajlani, chargé de la coopération internationale et du commerce extérieur à l’Utap. « L’Aleca pourrait être une bonne occasion de restructurer l’agriculture tunisienne et de se mettre à niveau, mais nous avons besoin d’un dialogue national sur le sujet », insiste-t-il.
(1) Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche.