Il est 11heures ce mardi 29 janvier à Denneville, sur la côte ouest de la Manche, à une encablure de Portbail. Avec l’arrivée de la tempête Gabriel, il fait un froid à ne pas sortir un manchot dehors, mais l’agitation est forte au sein des parcelles d’essai de carottes suivies par le Sileban, société d’investissement légumière et maraîchère de la Basse-Normandie. Ce jour-là, Joël Limouzin, le président du FMSE (1), ne peut que constater les dégâts devant les prélèvements issus de parcelles traitées avec des méthodes alternatives au 1-3 dichloropropène (1-3 D) pour lutter contre le nématode à kyste de la carotte, un fléau spécifique à ces terres de sable blanc du littoral occidental de la Manche. « On ne parle même plus de perte de rendement, s’offusque un producteur brandissant hors de terre une touffe de carottes fourchues et pas plus longues que la paume de la main. Les surfaces traitées avec des solutions alternatives produisent 15 t/ha de carottes non marchandes, contre 60 à 70 t/ha de carottes marchandes en situation saine. »
Parcelles sans protection
« Nous, on arrête tout à la fin de l’exercice, au 31 mai prochain, témoigne Alexandra Tirel, la quarantaine, fille et petite-fille de producteurs, en marge de la démonstration technique. Il va falloir retrouver du travail ailleurs. Ça fait mal, parce que la production de carottes, nous l’avons dans nos gènes. » Installée à Bretteville-sur-Ay sur 100 hectares de sable infesté, Alexandra emploie trente-trois équivalents temps plein. « C’est une entreprise qui marche bien. Nous nous sommes diversifiés dans les légumes anciens, mais le ver s’y attaque aussi. Nous n’avons pas arrêté de nous mobiliser sur ce sujet. Mais aujourd’hui, je n’y crois plus », soupire l’agricultrice, qui réalise 70 % de son chiffre d’affaires en carottes. Parmi les quatre-vingts producteurs de ce terroir littoral sableux si particulier et qui génèrent à eux seuls mille emplois directs, Alexandra Tirel est l’une des premières à raccrocher les crampons.
Mathieu Joret, qui cultive des carottes à Saint-Germain-sur-Ay, sur 22 hectares, n’en est pas encore là, mais il a dû réduire ses surfaces de moitié en 2018. Certains producteurs avaient anticipé les traitements à l’automne 2017, avant le non-renouvellement de la dérogation pour l’utilisation du 1-3 D, intervenu brutalement en mai 2018. À l’échelle du bassin, 40 % des surfaces n’ont pas pu être semées dans de bonnes conditions.
En 2019, presque plus aucune parcelle ne bénéficie de la protection. « La prise de risque est maximale, témoigne Mathieu. Cela fait vingt-cinq ans que nous cherchons des alternatives efficaces au 1-3 D. En vain. Seul ce phyto empêche que le ver ne se réveille. »
A. Dufumier
(1) Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental.