C’est une particularité souvent oubliée et pourtant indissociable de l’agriculture : le temps long est un marqueur fort du secteur qui contraste avec l’impatience avec laquelle fonctionne de plus en plus la société française. C’est dans ce fossé, qui tend à s’élargir avec l’omnipotence de la culture citadine, et dans cette recherche permanente de l’immédiateté que se trouve une source importante de malentendus et d’erreurs politiques. Quelle que soit la demande d’évolution exprimée vis-à-vis de l’agriculture, elle ne peut être résolue d’un claquement de doigts ! Les premiers à l’ignorer ou plutôt à feindre de l’ignorer se trouvent hélas dans la classe politique. Les exemples ne manquent pas ces dernières années : une cabale mondiale est habilement organisée contre le glyphosate et hop, d’un tweet impulsif, sans même avoir sous la main le début d’une alternative, le président de la République s’enferre tout seul dans des délais de suppression impossibles ! Sous un gouvernement précédent, Barbara Pompili tord le cou, sans nuances, aux néonicotinoïdes. Quatre ans plus tard, elle mange son chapeau, obligée d’accepter leur retour sur betteraves face à la problématique de la jaunisse et ses ravages économiques. Et elle tente, dans une pirouette qui ne manque pas de sel, de rejeter la faute sur le secteur agricole, qui aurait trop traîné les pieds pour trouver des alternatives ! Ne sait-elle pas que sans l’attendre un vaste programme de recherche public-privé (Aker) avait été lancé il y a déjà huit ans sur la betterave mais que les résultats de sélection variétale s’inscrivent, justement, toujours dans le temps long ? En général, on met entre sept et dix ans, voire plus pour créer une variété ! Le paradoxe dans tout cela, c’est qu’il existe des techniques de sélection beaucoup plus rapides, comme l’édition de gènes, qui seraient à même de rapprocher les échelles de temps entre ce qui est possible techniquement et la commande politico-sociétale de « sortir des pesticides ». Mais pour l’instant, elles nous sont interdites. « Si on n’adapte pas les moyens de la recherche à la vitesse des changements, on va aller dans des formes d’impasses très rapidement », estimait la semaine dernière le député Nicolas Turquois.
Un autre personnage politique, et non des moindres, semble avoir pleinement intégré l’importance de ce temps long en agriculture : c’est le nouveau ministre de l’Agriculture. Lorsque nous l’avions interviewé en septembre, il s’était longuement livré en aparté sur ce sujet. « Le courage en politique, c’est d’affronter le temps », a-t-il du reste tweeté. Chiche, Monsieur le ministre ?