C’est un bien curieux télescopage de l’actualité que vient de nous offrir la Commission européenne, en présentant vaille que vaille son Green Deal alimentaire, comme si rien ne s’était passé depuis quelques semaines dans le monde et qu’aucune leçon n’avait été tirée en matière de souveraineté (lire pages 16 et 19).

En fait, ce signal généralisé de désarmement de l’agriculture européenne, pavé au départ de louables intentions, est à bien des égards tout aussi étrange qu’inquiétant. Avec la stratégie « De la ferme à la fourchette », la Commission fixe pour objectif combiné de diminuer de 20 % les fertilisants et de 50 % l’utilisation de pesticides en dix ans, posant l’UE comme un « chef de file international » que les autres pays seraient donc enclins à imiter. Sérieusement, comment peut-on croire que des géants mondiaux comme la Russie de Poutine ou l’Amérique de Trump s’inspireront d’une telle posture et se mettront au garde-à-vous devant nos normes ? On les imagine plutôt en train de se frotter les mains, en se disant qu’ils vont pouvoir nourrir les Européens et combler les productions manquantes…

Le moment est d’autant plus singulier que les agriculteurs français voient déjà ce que donne ce type d’injonction appliquée avec célérité, quand il n’existe pas d’alternatives crédibles. Comme un avant-goût de ce qui pend au nez de tous les producteurs européens. De tous les pays de l’UE, la France n’est-elle pas celui qui a le plus dégarni sa boîte à outils, au point de créer des pertes de compétitivité et des impasses techniques ? Face à un ravageur aussi banal que les pucerons, nos producteurs se retrouvent désemparés cette année. Qui l’eût cru ? D’ailleurs, un président de groupe sucrier (Cristal Union) demande une dérogation pour réemployer un traitement de semences ! Dérogation que tous nos voisins ont mise en œuvre.

Que dire aussi de la mise sous cloche d’au moins 10 % de la SAU qui s’ajouteraient aux SIE ? Il y a de quoi se frotter les yeux quand on connaît le défi alimentaire mondial qui s’annonce à cause de la démographie galopante, et que l’on sait qu’une pandémie de la faim se profile à cause du Covid-19. N’est-ce pas un peu décalé tout cela ? N’est-ce pas une chimère de ventres pleins qui ont oublié la peur de manquer ? Étonnamment (sans doute pour mieux faire passer la pilule), c’est sans aucune étude d’impact publiée que la Commission avance ce virage profond. Cela promet des discussions animées en Conseil des ministres, du moins pour les pays les moins rêveurs…