Jamais technologie n’a été adoptée aussi rapidement en agriculture ! Grâce à ses multiples usages, depuis le guidage jusqu’à la cartographie, l’arpentage, la télématique et la modulation, la géolocalisation est utilisée sur un grand nombre d’exploitations. Selon l’Agence européenne sur les systèmes de navigation par satellites (GSA), le nombre de récepteurs GNSS (système de positionnement par satellite ou Global navigation satellite system) vendus en Europe est passé de 60 000 unités en 2006 à plus de 370 000 unités en 2017. Et c’est bien de GNSS qu’il faut parler dorénavant, et non plus de GPS. Car, la célèbre constellation américaine, qui a démocratisé le guidage et la géolocalisation dans le monde entier, est désormais rejointe par trois autres systèmes. Le plus connu est Glonass. Cette constellation russe, abandonnée à la chute de l’URSS et relancée par Vladimir Poutine, est moins performante que ses concurrentes. L’empire du milieu se lance également dans la guerre des étoiles avec Beidou, qui sera totalement opérationnelle en 2020. Mais, la plus grande avancée pour les agriculteurs français est la fin du déploiement de Galileo.

Satellites et bases au sol

Une fois complétée en 2020, la constellation Galileo comportera 24 satellites sur trois orbites différentes. « Pour géolocaliser correctement, il faut que chaque endroit du globe soit survolé par quatre satellites », précise Thierry Chapuis, expert applications spatiales au CNES (1). Chaque satellite envoie un signal qui porte son heure d’émission. Au sol, le smartphone ou le terminal du tracteur qui reçoit ce signal est capable de décrypter son heure d’émission et la compare à l’heure de réception pour calculer le temps de transmission. De cette façon, le récepteur connaît la distance qui le sépare du satellite. « Il est nécessaire de calculer la distance entre le tracteur et trois satellites pour réaliser une trilatération et se géolocaliser », explique Thierry Chapuis. Il faut également un quatrième satellite pour synchroniser parfaitement les horloges de satellites avec celles du matériel de l’agriculteur. « Les satellites sont équipés d’horloges atomiques très précises, mais ce n’est pas le cas des smartphones et des boîtiers de guidage, insiste Thierry Chapuis. Un décalage de 3 milliardièmes de seconde représente une erreur d’un mètre au sol. » À cet arsenal spatial, s’ajoutent deux centres de contrôle et des antennes au sol. « Leur rôle est de calculer exactement la position des satellites par rapport à la terre. Sans ces bases au sol, le tracteur sait où il se situe par rapport aux satellites, mais pas où se trouvent les satellites par rapport à la terre », complète le spécialiste. « Galileo est plus performant que GPS, avec une précision de l’ordre du mètre, quand le GPS dérive de 3 à 5 mètres. La technologie américaine a été victime de son efficacité, qui n’a pas motivé le Pentagone à lancer des satellites de nouvelle génération. Néanmoins, malgré toute la technologie de Galileo et GPS, de nombreux phénomènes provoquent des erreurs de positionnement. »

Huit grandes sources d’erreur

Romain Legros, président de Geoflex, une entreprise spécialisée dans les solutions de correction du positionnement, rappelle que les trois principales sources d’erreur dans le signal sont liées à la déviation de l’orbite, à l’horloge atomique et aux perturbations de la ionosphère. « Mais les autres causes d’erreur sont sur terre, notamment avec les constructions qui réfléchissent les signaux et perturbent les calculs. En agriculture, le principal problème est la canopée pour les parcelles situées en bordure de forêt. » Xavier Leblan, directeur de Guide, un laboratoire spécialisé dans les tests sur les solutions GNSS, note aussi l’influence croissante du brouillage volontaire (jamming) sur la qualité du signal. « Cette pratique n’est pas nouvelle. On sait que, lorsque Vladimir Poutine se déplace, pas un système GNSS ne fonctionne correctement dans les environs, ironise le spécialiste. Mais ce qui est nouveau, c’est que les chauffeurs routiers s’équipent de plus en plus pour ne pas être géolocalisés par leur employeur. Quand un tel camion passe à proximité d’une parcelle, votre système de guidage fait n’importe quoi. » Thierry Chapuis rappelle, par ailleurs, que l’achat et l’utilisation de tels brouilleurs sont interdits.

Des corrections précises

Pour corriger les distorsions liées à la ionosphère et aux variations d’orbite, plusieurs solutions sont proposées. La plus utilisée par les agriculteurs est Egnos. Cette correction gratuite est un service géré par la commision européenne. Pour le moment, elle ne corrige que les signaux GPS, « mais elle pourra bientôt traiter à la fois GPS et Galileo », précise Sofia Cilla, directrice de l’adoption des services Egnos. Cette solution est basée sur deux satellites géostationnaires et 40 stations au sol situées en Europe. Selon une étude de la chaire AgroTic de Montpellier Supagro, 70 % des agriculteurs qui utilisent la géolocalisation privilégient Egnos. Plus perfectionnées mais aussi plus chères, les corrections PPP (positionnement ponctuel précis) utilisent un maillage de récepteurs situés partout dans le monde pour rectifier les erreurs d’orbite et d’horloge. Comme le réseau RTK national ou local, le PPP offre une précision centimétrique, mais nécessite un abonnement et une carte SIM multi-opérateurs. Face à cette offre pléthorique, le CNES pourrait bien rebattre les cartes rapidement, puisqu’il annonce le lancement en 2022 d’une correction gratuite des signaux Galileo avec une précision centimétrique.

Compatibilité en question

Les promesses de Galileo pour l’agriculture sont alléchantes, si l’on en croit le CNES. « Le coût du géopositionnement n’a jamais été aussi faible, que ce soit pour la correction des signaux que pour les antennes et les récepteurs, qui deviennent des produits de consommation courante. Nous constatons, depuis trois ans, un virage sur les prix avec des baisses très importantes », se félicite Thierry Chapuis.

Mais, cette avalanche de bonnes nouvelles ne doit pas faire oublier les freins technologiques à l’adoption du GNSS sur une exploitation agricole. Egnos est certes gratuit, mais « il faudra changer d’équipement pour bénéficier de la correction double fréquence en 2024 », précise Sofia Cilla. Chez Geoflex, le PPP nécessite un apport supplémentaire d’information pour le travail en pente avec une technologie qui n’est disponible que sur les smartphones Android. De son côté, Vincent Daoulas, responsable marché Europe pour Trimble, rappelle que ses réseaux PPP et RTK ne sont pas compatibles avec les récepteurs SF1 de John Deere, l’autre poids lourd du marché. Pour les agriculteurs français, la guerre des étoiles aura donc d’abord lieu sur terre.

Corinne Le Gall

(1) Centre national d’études spatiales.