Saint-Pierre-et-Miquelon est un archipel de pêcheurs, où la place de l’agriculture est réduite aujourd’hui à quatre exploitations en activité principale. Thierry Gautier et Joëlle Lemaine décident pourtant, en 1998, de s’y installer, presque à contre-courant. « Très jeune, je rendais visite à un oncle qui avait quelques vaches laitières à Saint-Pierre. J’adorais ça ! », explique Thierry. Bien déterminé à suivre cet exemple, il part en 1987 à Carcassonne pour suivre des études agricoles. Il doit encore travailler dix ans à son retour, afin de réunir le capital nécessaire à la reprise d’une exploitation. C’est sa rencontre avec Joëlle qui sera déterminante.

Les grands espaces vierges de l’archipel sont propices aux pâturages et à l’élevage extensif. En 1996, Thierry achète ses premières brebis, 280 têtes de races à viande venues du Canada : suffolk, clun forest, border leicester. Une activité d’engraissement de broutards vient s’ajouter en 1999.

Atelier avec chaîne d’abattage

En parallèle, Joëlle crée une SARL : « Moi, je voulais faire des productions végétales ! » Elle reprend une exploitation maraîchère sur la presqu’île de Langlade et décide de produire des fraises en auto-cueillette. Pour optimiser une période hivernale longue et creuse, Thierry se lance un an plus tard dans la production de canards gras. « Ici, avec un marché étroit et de fortes contraintes climatiques, il faut miser sur des productions à forte valeur ajoutée », explique-t-il. Les canetons de race mulard arrivent de Montréal à un jour, en juillet, puis sont élevés en liberté pendant douze à treize semaines, avant d’être gavés au maïs grain pendant treize jours. Un atelier construit en 2005, puis modernisé avec une chaîne d’abattage en 2016, permet à Thierry de maîtriser toute la transformation. « Nous avons alors décidé de nous centrer sur les canards, pour rentabiliser l’investissement », poursuit-il. Joëlle arrête la production de fraises en 2011 et les deux sociétés initiales fusionnent en une seule SARL en 2016.

Foies vendus localement

Sept personnes travaillent à l’abattage le lundi. Les foies sont préparés le jour même par Joëlle, en conserve ou semi-conserve. 70 % de la production est écoulée avant Noël. Les foies sont vendus localement. « Nous avons essayé d’exporter nos produits vers le Canada, mais les normes sanitaires sont trop strictes pour accéder au marché », explique-t-elle. Aujourd’hui, la production de canards gras est devenue la principale activité de la Ferme de l’Ouest.

Le cheptel ovin est stabilisé à 150 brebis, qui produisent 250 agneaux par an commercialisés à 5-6 mois. Le troupeau reste en hivernage à Miquelon et part l’été en transhumance sur l’isthme de l’archipel. L’effectif des broutards est maintenu à 12 taurillons de race angus, achetés chaque année au Nouveau-Brunswick, une province canadienne voisine. Ils sont engraissés à l’herbe pendant quatre à cinq mois en été, puis vendus à une grande surface locale. L’alimentation est une des principales contraintes de l’exploitation. En été, les pâturages suffisent, mais la qualité des prairies de fauche laisse à désirer. Une partie du fourrage et le concentré sont achetés au Canada.

Diversification et qualité

Joëlle a conservé un atelier de confitures fabriquées avec des « graines » issues de la cueillette locale, bleuets et canneberges (1), et des produits du potager, rhubarbe et fraise. « En vingt ans, nous avons misé sur la diversification et la qualité de nos produits », souligne-t-elle.

Depuis deux ans, l’instauration de vols directs en été depuis Paris a boosté leur chiffre d’affaires. Thierry aurait aimé développer davantage leurs ventes en métropole, voire se placer sur le marché de la gastronomie de luxe. Mais c’est désormais la question de la cession qui se pose, dans un contexte agricole tendu. « Notre exploitation a beaucoup de potentiel. On peut investir dans du matériel pour améliorer les prairies. Le site où nous nous trouvons est tellement beau, qu’on peut faire de l’agrotourisme », vante Thierry. Encore faut-il trouver un candidat qui ait comme eux le goût des grands espaces, de l’aventure et du défi à relever !

Maria Gonzalez

(1) Baie rouge qui croît dans les régions froides, en anglais cranberry.